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De l’autre côté des mères de Vinciane Zech, Brigitte Junker, Sandrine d’Huart, Chantal Poppe, Lara Lalman et l’équipe de Corps écrits

Publié le 01/10/2021 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Être mère, c’est un job à temps plein qui ne se termine jamais. À l’instant même où ce petit être a pris possession de ton corps, rien ne sera plus jamais comme avant. « C’est merveilleux d’être maman », « C’est la plus belle chose au monde », « Tu seras comblée ». Oui. Effectivement, ce nouveau rôle endossé est incroyable. Mais. Parce qu’il y a un mais voire des « mais ». Être mère, c’est aussi tout le reste. C’est de ce reste-là, cet « autre côté », qui est au cœur du film de Vinciane Zech, Brigitte Junker, Sandrine d’Huart, Chantal Poppe, Lara Lalman, film coproduit par Corps écrits, Gsara ASBL et La Démise en boîte.

 
De l’autre côté des mères de Vinciane Zech, Brigitte Junker, Sandrine d’Huart, Chantal Poppe, Lara Lalman et l’équipe de Corps écrits

Dans leur film, les réalisatrices ont rassemblé une dizaine de femmes dressant ainsi un éventail de parcours de vie bien distincts. Parmi elles, des mères célibataires, des plus jeunes, des plus âgées, des femmes de couleur, des femmes qui vivent avec un homme, d’autres qui vivent avec une femme. Leur point commun ? Être enceinte au moment du tournage. Ces femmes, au naturel, au sein de leur foyer, nous racontent. Tout. Sans pudeur, face caméra, cadrage serré, reflétant, d’une certaine manière, l’enfermement qu’elles subissent alors.

Parce qu’être enceinte, c’est un peu comme être coincée. Coincée entre avant et après, coincée entre la figure de la femme et celle de la mère. Coincée entre vie professionnelle et vie de famille. Coincée entre envie de mouvements et besoin de fixité. Coincée entre besoin de vie sociale et solitude obligée. Être enceinte, c’est surveiller constamment ses moindres faits et gestes sous peine d’être envoyée au bûcher. Être enceinte, c’est essuyer quotidiennement les critiques, remarques, conseils de personnes bien pensantes. Être enceinte, c’est faire semblant que tout va bien. Alors que non, en fait. Toutes les femmes et tous les hommes doivent voir ce documentaire. Les réalisatrices, à travers leurs sujets, disent ce que les femmes pensent tout bas, elles disent haut et fort ce que tout le monde devrait entendre : être mère, c’est ardu.

De la grossesse à l’accouchement en passant par les nuits sans sommeil, les réveils brutaux, le manque de considération, l’alimentation à surveiller, les dépressions postnatales cachées, les angoisses liées à la santé du bébé, la charge mentale décuplée, les séquelles physiques et psychologiques, le manque de liberté, le film aborde toutes ces questions.

Une danseuse, Thi-Mai Nguyen, vient s’immiscer parmi toutes ces voix. La danse comme respiration, la danse comme échappatoire, la danse comme se sentir vivante, brûlante, morne, lasse. Ces mouvements s’accordent sur la musique originale de Cloé du Trèfle et Céline Chappuis. Des intermèdes comme des permissions de sortir du cadre.

De l’autre côté des mères est universel et indispensable. Continuons de nous dire. Continuons de témoigner. Continuons de nous soutenir.


« Le 12 septembre 2018, est né mon premier fils. Le 28 mai 2021 est né mon deuxième fils. Je suis donc mère, et, j’ai compris qu’on ne naissait pas mère mais qu’on le devenait, jour après jour, heure après heure, minute après minute. Après une première expérience déjà traumatisante, tant pour le corps que pour l'esprit, je m'étais dit que je voulais oublier, tenter d'effacer les stigmates profondément inscrits dans ma chair de femme. Je suis confrontée une fois de plus, probablement la dernière, à cette métamorphose que je considérais alors comme monstrueuse. Certaines l'embrassent avec sérénité, d'autres, comme moi, optent pour la lutte, livrant avec ce corps devenu étranger une guerre chimérique. L'attente n'est pas vaine, elle présage du bonheur brutal. Certes. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Faire un arrêt sur image, sur ce corps devenu étranger, sur ces rondeurs pesantes aux yeux d'une société aux œillères acérées lorsqu'il s'agit de maternité. La grossesse se vit secrètement, seule face au miroir quotidien des pantalons étriqués. J'ai voulu me voir, femme-fille-mère. J'ai voulu sublimer ce que je ne pensais pas pouvoir l'être, ancrer cette réalité passagère. La femme, enceinte ou non, subit. Je ne reviens pas sur les surdoses d'hormones infligées, sur les tabous qui y sont liés, sur les regards portés sur cette bête curieuse qu'est la femme enceinte. Je ne voulais pas oublier. Même si le corps, lui, n'oubliera pas.»

Nastasja Caneve

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