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Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska

Publié le 02/07/2019 par Adrien Corbeel / Catégorie: Critique

Réalisatrice d'origine macédonienne, Teona Strugar Mitevska fait, depuis ses débuts, la radiographie de son pays natal. Avec Dieu existe, son nom est Petrunya, le cinquième long-métrage de sa filmographie, elle poursuit son exploration cinématographique en évoquant de manière grinçante l’absurdité d’une société patriarcale.
Lorsqu’on la rencontre pour la première fois, Petrunya n’est pas ce qu’on pourrait appeler une personne vaillante. Allongée sous ses draps, cette jeune femme de 32 ans se fait servir son petit déjeuner par sa mère qui, particulièrement désireuse de la voir trouver « une vie normale », insiste pour que sa fille se rende à un entretien d’embauche.

dieu existe, son nom est petrunya Elle rechigne, puis finalement accepte à contre-cœur. Pour cette célibataire macédonienne diplômée en Histoire (mais sans emploi), trouver sa place dans une société qui ne veut pas d’elle a tout du sacerdoce.
C’est d’ailleurs ce que confirme le reste de sa journée, débutant avec la rencontre particulièrement humiliante de son potentiel employeur, puis suivie d’une bousculade par une foule d’hommes torse nu. Ceux-ci s’empressent de se rendre au bord d’une rivière où une cérémonie religieuse (ou concours traditionnel ?) leur donnera l’occasion de gagner une croix, censée apporter chance. Saisie d’une impulsion soudaine, elle les rejoint et s’empare de l’objet tant convoité, sous le regard effaré de ces messieurs. De fait, le concours est interdit aux femmes, et sous peu la police et l’Église s’en mêlent, poussant Petrunya à se séparer de son trophée, ce qu’elle refuse avec véhémence.
À travers les conséquences de cet acte prohibé, Teona Strugar Mitevska explore de nombreux travers d’une société patriarcale. Embourbé dans ses traditions et terriblement conservateur, le système qu’elle nous dépeint est exhibé dans toute son absurdité. La réalisatrice n’hésite d’ailleurs pas à tourner en dérision ces personnages attachés à leurs traditions archaïques, comme ce prêtre qui, téléphone à l’oreille, arpente le commissariat, ou ces jeunes hommes, incapables d’accepter qu’une femme ait pu se saisir de ce qu’ils estiment être leur dû. Épaulée par la directrice de la photographie belge Virginie Saint-Martin, elle montre également un flair certain dans la composition de plans, soulignant visuellement les pressions qui sont faites sur Petrunya, que ce soit face à une foule assoiffée de sang ou devant à un policier abusant de son pouvoir.
À l’intérieur de cette mécanique écrasante, mais indéniablement rouillée, Petrunya est comme un grain de sable, mettant à mal toute la société par une simple transgression. On l’intimide, on la soutient, on l’interroge, on fait d’elle l’incarnation de tous les maux comme le symbole d’une libération féministe. Mais son stoïcisme et son refus sont avant tout motivés par une logique imparable : elle a gagné sa croix, et si la société désapprouve sa victoire, elle n’en est pas moins une. Incarnée avec force par Zorica Nusheva, cette héroïne magnifiquement imparfaite ne peut — et ne veut — pas se conformer aux attentes de la société à son égard. À ses côtés, un personnage de journaliste jongle avec difficultés avec ses injustes obligations professionnelles et familiales. Figure moralement assez ambiguë, elle n’est pas une héroïne idéale, mais son combat a du sens, au même titre que celui de la protagoniste.
C’est à ces femmes en lutte (et en essence à bien d’autres) que le long-métrage consacre son regard vif, mordant et surtout contestataire. Punk en son cœur, le film de Teona Strugar Mitevska refuse tout entier cette société qui impose ses règles absurdes et dommageables. À la place, il nous propose les siennes. Et si Dieu était une femme ? Et si son nom était Petrunya  ? Il n’y a qu’un pas, que nous sommes invités à franchir de manière audacieuse.

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