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Easy Tiger de Karel Tuytschaever

Publié le 20/07/2022 par Fred Arends / Catégorie: Critique

La Peau douce

Plongée fascinante et hypnotique dans les désirs confus d'un psychologue clinicien, Easy Tiger est un film étrange qui se laisse difficilement approcher mais qui se révèle tour à tour cérébral, sensuel et captivant.

Easy Tiger de Karel Tuytschaever<br />
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Homme au look un peu branché, ambivalent (brun ténébreux à la boucle d'oreille et à la moustache), un thérapeute entame une relation sexuelle puis amoureuse avec l'un de ses patients. En couple avec une femme, il cherche l'équilibre entre ces deux pôles d'attraction. Mais, refusant tout psychologisme qui tenterait d'expliquer les motivations des personnages et écartant tout élément trop marquant (les prénoms des personnages restent inconnus), Karel Tuytschaever s'attache essentiellement à la gestuelle des corps et aux contacts entre eux. Ce rapport aux corps crée une relation singulière et déroutante au langage. En effet, la place des mots est au cœur du dispositif filmique et en constitue l'aspect le plus troublant. La grande importance accordée à la langue des signes participe à une forme d'abstraction vers laquelle le film tend souvent. La langue des signes s'installe avec naturel et fluidité, à savoir que si elle marque profondément le plan formel, elle ne constitue pas un enjeu de récit. Le cinéaste accentue ce trait abstrait et cette impression étrange de flottement par un jeu étonnant entre les voix et les sous-titres. Les sous-titres s'inscrivent le plus souvent sans son, révélant une voix intérieure, et créant comme des dialogues insonores qui nous placent dans une forme de trouble cognitif. De même, les cadrages géométriques, les longs plans fixes participent à la déréalisation du récit. 

Il est remarquable à quel point la douceur parcourt l'ensemble du film, une forme d'ambiance cotonneuse, permise notamment par les éclairages chauds et l'espace sonore, où même les colères sont soyeuses et les peaux toujours lisses. Du premier plan, cru et d'une incroyable délicatesse où un pouce caresse doucement un sexe d'homme, aux multiples plan de peau (« La peau ne ment pas », lira-t-on), le film est traversé de plans tactiles, d'effleurements, de souffles, et déploie ainsi de grandes plages de sensualité et de sensitivité. Si lui et sa compagne ne se disent quasiment rien, leurs mains qui se touchent, leur regard indifférent ou leurs sourires complices disent l'amour, l'ennui ou la malice. Les corps sont toujours filmés avec finesse et le toucher s'avère plus simple que les paroles. C'est en privilégiant ces moments que le film s'ouvre et se déploie et s'avère au final d'une grande générosité.

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