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Etats-Unis : la démocratie assiégée - Laura Nix - 2024 - Diffusions télé les 27 (VRT) et 30 (RTBF) octobre

Publié le 24/10/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Il était une fois en Amérique…

Dans ce documentaire foisonnant, passionnant, mais néanmoins très partisan, auteurs, dessinateurs, experts politiques et membres du Congrès décortiquent les mécanismes de la vie politique américaine et les vices de conception de la Constitution, qui poussent chaque jour un peu plus la démocratie vers le précipice. Grâce aux cartoons animés par Anna Telnaes, la papesse du dessin de presse politique, les conséquences funestes de ces failles institutionnelles sont disséquées en long et en large au fil de conversations et d’analyses. 

Etats-Unis : la démocratie assiégée - Laura Nix - 2024 - Diffusions télé les 27 (VRT) et 30 (RTBF) octobre

Le film commence par examiner la Constitution elle-même, c’est-à-dire le document qui a permis aux États américains de s’unir, rédigée par un groupe de politiciens qui ont fait ce qu’ils pouvaient, à une époque tourmentée de l’histoire, pour maintenir le pays uni, mais qui appartenaient à une bourgeoisie blanche et chrétienne et dont beaucoup d’entre eux étaient esclavagistes. Premières contradictions : la Constitution contient plusieurs notions antidémocratiques. En effet, le document commence par les mots « We the People » (« le peuple tout entier »), mais nous savons que, trop longtemps, ni les esclaves, ni la population noire, ni les femmes n’ont eu leur mot à dire, puisque le pays s’est construit sur un système d’apartheid. Si la Constitution américaine est la plus vieille encore en état de fonctionnement, sa mise à jour paraît souvent impossible : elle est la plus difficile à modifier, car tout changement nécessite 2/3 d’approbations au sein de deux institutions : le Sénat et la Chambre des Représentants, plus l’approbation de la grande majorité (75%) des États. La Constitution est donc pratiquement impossible à réformer, et le péché originel du pays, le racisme, n’a toujours pas été « réparé ». 

Aujourd’hui, l’Amérique est plus divisée que jamais. Mais comment, en 2024, en est-on arrivé là ? Blâmer les quatre années de gouvernance de Donald Trump est tentant, bien sûr, tout comme l'incapacité crasse du système à le destituer et à le punir pour ses divers crimes et mensonges. L’ex (et futur ?) président, figure clivante s’il en est à travers le pays, a entaché la réputation et l’image de l’Amérique qui, aujourd’hui, ne semble plus accepter sa condition de démocratie multiculturelle et multiraciale. Or, si le constat du mandat de Trump est, dans l’ensemble, désolant, un régime politique qui tend vers l'autocratie n'est jamais le fait d'un seul homme, mais d’un ensemble de paramètres qui permettent son dévoiement, qui servent une minorité dirigeante guidée par ses seuls intérêts. Le film de Laura Nix en énumère quelques-uns, qu’il explique avec pédagogie et humour, d’une manière très technique et détaillée : - le pouvoir disproportionné du Sénat, qui agit depuis quelques années comme un organe de blocage systématique des lois proposées par les démocrates, au lieu d’être un instrument de progrès ; - la Cour suprême, dont le système de nomination à vie a permis la corruption de certains de ses membres ; - la naissance de Fox News et la multiplication des théories du complot favorisées par les réseaux sociaux ; - le mode de scrutin de la présidentielle et son système de collège électoral consacrant le principe du « winner takes all » au détriment du suffrage populaire… 

Ces failles dans le système accouchent d’inquiétants faits de société : le mouvement des républicains trumpistes qui souhaitent annihiler la séparation entre l’Église et l’État, les débordements racistes et antisémites des suprémacistes blancs à Charlottesville, en Virginie en 2017, l’assaut du Capitole en 2021, la multiplication des « fake news », la normalisation de l’art du mensonge en haut lieu, ou encore la décision « Dobbs vs. Jackson Women Health » de juin 2022, quand la Cour suprême a, pour la première fois, cessé de reconnaître un droit constitutionnel qu’elle avait précédemment reconnu, celui à l’avortement… 

Leçon d’histoire autant que pamphlet antirépublicain, La Démocratie assiégée fait le portrait pessimiste d’un pays qui n’a, en fin de compte, jamais vraiment été le « land of the free » ni le « home of the brave ». Peu d’Américains ont goûté au totalitarisme et ne se rendent pas compte du danger immédiat de la situation de leur pays. Il n’y a pas de chars dans les rues ; ils ne voient donc pas la menace qui pèse sur eux telle une épée de Damoclès. La rhétorique populiste de Trump, pourtant souvent si caricaturale et mensongère, attire les masses de laissés-pour-compte et de nostalgiques d’une Amérique parfaite, mais rêvée, irréelle, qui se sentent menacés par toute notion de changement et ont l’impression que leur pays leur a été volé, ce qui engendre de la haine et de la colère… Nul doute qu’avec un état des lieux si sombre et désespéré, les élections du 5 novembre prochain s’avéreront plus que jamais cruciales pour l’avenir du pays.    

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