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F.A.M.I.L.L.E de Jessica Champeaux

Publié le 20/06/2019 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Le Jeu des mille familles

Ce film est présenté d'emblée comme une enquête de Jessica Champeaux qui se met à la recherche de la signification du mot “famille” dans le contexte de l'émergence actuelle de nombreuses familles homoparentales. La réalisatrice a l'intelligence d'aborder ce “sujet de société” (alors que profondément personnel et intime) sous un angle singulier, souvent très drôle et très léger, qui ne fait l'impasse sur aucune question ni aucun préjugé et révèle des structures familiales riches, variées et épanouies.

F.A.M.I.L.L.E. de Jessica ChampeauxÀ partir de 2012, la Manif pour tous (LMPT) fait l'actualité en France avec son cortège de manifestant.e.s unis contre la procréation médicalement assistée (PMA) et contre le mariage « homosexuel ». Sans complexe, cette foule déverse son torrent de haine et de discours rétrogrades et violents. Née dans une famille nucléaire traditionnelle (un père, une mère, des enfants), la réalisatrice va interroger les autres possibilités de parentalité. Le choix des témoins et la qualité des entretiens est l'une des grandes forces du film. Enfants né.e.s de PMA ou mère lesbienne et en couple, ces personnes révèlent toutes une grande intelligence et une grande lucidité sur leur parcours, comme enfant ou comme parent. Elles permettent surtout de mieux comprendre et de mieux appréhender ces situations qui restent pour certain.e.s méconnues voire inacceptables. Avec une frontalité jamais agressive, elle essaie de déconstruire les idées reçues et trop souvent figées dans des conceptions judéo-chrétiennes de la famille.

Aujourd'hui, la plupart des familles homoparentales sont le fait de couples de femmes qui ont bénéficié d'une PMA soit par donneur de sperme anonyme, soit par un géniteur connu, qui peut dans certains cas être reconnu comme père. Dans une société patriarcale et hétéronormée, l'absence de père est vue comme une aberration, un danger pour le développement et le bien-être de l'enfant. Le film met en lumière les discours rétrogrades et réactionnaires de la psychanalyse, véritable idéologie de la domination masculine, et d'un certain corps médical marqué par la religion et le conservatisme. La question des rôles symboliques que l'on attribue à la mère (l'accueil, le soin) et au père (le droit, l'autorité) est l'un des plus pertinentes car elle questionne l'ensemble de notre organisation sociétale. On souhaite que même au sein de couples de femmes, l'une d'entre elles joue ce rôle de père alors qu'il s'agit d'autres rôles, d'autres fonctions. La disparition du père inquiète. Ainsi que celle de cette famille nucléaire idéalisée et qui est pourtant une construction récente de nos sociétés. À la question : « As-tu manqué d'un père ? », François répond justement et implacablement : « Pour que quelqu'un manque, il faut l'avoir connu. »

Le montage très dynamique fait souvent intervenir la réalisatrice en voix-off, liant sa propre histoire et ses questionnements au sujet, et entrecoupe les entretiens avec des images décalées, animations, images vintage en N&B, commentaires ironiques et humoristiques sur une réalité que tout.e.s les intervenant.e.s qualifient de « normale ». Cette normalité affichée, souhaitée est sans doute paradoxale mais coupe court néanmoins à toutes les projections faites sur ces familles. Et permettra, on l'espère, un certain apaisement.

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