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Grâce à Dieu de François Ozon

Publié le 27/03/2019 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

De l’art de remuer la merde

François Ozon s’attaque au fait divers et par là, au film sociétal (bien plus que social) avec Grâce à Dieu dans la lignée du fracassant Spotlight (en 2015) qui avait tant fait parler de lui… Le film-dossier sur la pédophilie dans l’église déchaîne en effet les passions qui dépassent l’actualité brûlante car derrière ce sujet se profilent les thèmes du pouvoir, de l’institution, du secret, des tabous… À l’heure exacte du procès contre le cardinal Barbarin (puisque c’est bien de cette histoire qu’il s’agit ici), le calendrier des sorties tombe à pic pour le cinéaste français.

Premier plan : un cardinal revêtu de sa chape et de sa mitre avance de dos en haut de la tour de la basilique et tend, sur la ville de Lyon, son ostensoir… de travers… Ce plan (le premier donc) ouvre de façon magistrale et très révélatrice le film d’Ozon. Ce sera hélas le dernier de cet ordre, Ozon nous privant par la suite de ce qu’il sait donc faire le mieux : des cadres truffés de clins d’œil dans des décors accentuant des ressors dramatiques symboliques.
Mais porté ici par une histoire « vraie » et actuelle, légataire de la parole des victimes, Ozon s’assagit et, avec une maturité que l’on ne lui connaissait pas, construit pièce par pièce une narration rigoureuse et presque documentaire. Le cinéaste renonce donc à sa nature, la contient à tout moment, et évite les sautes de registre et les provocations qui ont été jusqu’ici sa très pourtant remarquable marque de fabrique. Dommage de constater que souvent la gravité du sujet abordé sape toutes velléités d’inventions et de libertés. Malgré cette réserve, difficile de ne pas encourager chacun à se confronter à Grâce à Dieu et à son impeccable et implacable récit.
D’une construction horlogère, le film nous plonge dans l’histoire par une première porte, la vie d’Alexandre (incarné par Melvil Poupaud) bourgeois catholique et bien pensant qui, le premier, va allumer la mèche et décider de parler de ce qui lui est arrivé lorsqu’il était enfant. Alexandre et ses cinq enfants en bleu marine, la messe du dimanche, la petite femme blonde, l’appartement standing… tous les détails étaient réunis pour qu’Ozon s’amuse à mettre en pièces cette famille Ricoré, mais il choisit ici de la montrer sans ironie aucune et sans jugement… avec grâce.
Et c’est avec la même grâce et une fluidité remarquable que le film va délaisser ce premier personnage que l’on aura vu vivre et souffrir, agir et parler durant une demi heure pour entrer dans le chapitre 2 et la vie de François (Denis Ménochet) victime lui aussi du même abbé. François est issu d’un milieu aisé mais plus modeste qu’Alexandre. Ses parents ont toujours été bienveillants et l’accompagnent dans sa démarche, car il est celui qui veut ébruiter l’affaire et devenir l’instigateur de l’association de victimes : La parole libérée. Et c’est bien là tout le sujet du film, la libération d’une parole contenue trop longtemps contre tout et tous : le déni, la honte, l’église, les proches eux-mêmes (terrible moment où la mère d’Alexandre lui reproche d’avoir toujours été fort pour « remuer la merde »). Volcanique, ironique, François est mu par la colère, et ce qu’il veut faire tomber est bien moins le prêtre pédophile que l’institution toute entière. Avec lui, le film qui semblait jusqu’ici baigner dans de longues et infructueuses tractations et échanges polis de lettres et d’emails prend une tournure plus rageuse. C’est entraînés par cette énergie et cette revitalisation du récit que nous abordons le chapitre 3 dont le héros appartient à un tout autre monde encore. Jeune homme brisé et épileptique Emmanuel (le bouleversant Swan Arlaud) survit entre l’appartement d’une petite amie toxique et celui de sa mère divorcée (incroyable Josiane Balasko). Cet agneau sacrifié sur l’autel va, grâce à l’initiative de François et les autres, trouver du réconfort, une nouvelle famille et peut-être même une raison de vivre.

Cette façon de faire avancer son film, de personnage en personnage, démontre avec évidence l’importance du collectif et la « contamination » par l’action. Pour autant, ces êtres qu’un horrible trauma unit ne sont ni identiques ni en accord sur tout et c’est ce qui fait toute la profondeur et la complexité du film et du sujet.
Face à cette marche en avant, cette action et cette humanité, l’image de l’église apparaît plus encore incarner la rigidité et l'immobilisme. « Dépassé par les événements » semble le maître-mot et c’est également le cas de ce vieux prêtre qui, complètement à côté de la plaque, parle aux victimes avec une gentillesse et une bienveillance de bon papa qui fait froid dans le dos et presque pitié.
Et si bien sûr, on aurait aimé que François Ozon remue plus encore la merde et multiplie les provocations et les audaces cinématographiques, il signe-la la chronique juste d’un drame collectif et un grand film politique.

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