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In der Dämmerstunde Berlin de l’aube à la nuit d’Annik Leroy

Publié le 04/11/2019 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Premier long-métrage d’Annik Leroy tourné entre 79 et 80, In der Dämmerstunde Berlin de l’aube à la nuit résonne, dès les premiers plans, comme une pérégrination poétique, une déclaration d’amour sous forme de dialogue avec un Berlin révolu. Bien plus proche de l’essai filmique que du documentaire à proprement parler.

C’est avec un long travelling progressif que le film s’ouvre, comme pour prévenir de la proposition à venir. Il sera, en effet, question d’avancée permanente, de pénétration au plus profond de l’ambiance et de l’âme d’une ville qui n’en aura jamais manqué. Ainsi, le bruit des rails des métros aériens qui survolent la ville offrent une évidente porte d’entrée vers les ballades oniriques de la réalisatrice articulées autour de sa relation avec la ville dont l’œuvre tire son titre.

Mais le film se meut aussi sous la forme d’un poème élégiaque qui prend à contresens les codes du genre préférant se jeter dans une approche bien plus urbanistique, voire vers le portrait de la ville dont elle fait un personnage avec lequel dialoguer. La cinéaste allant même parfois jusqu’à chercher des motifs visuels rappelant des visages, dans les façades et la lumière des contre-jours aveuglants. Dès lors, les habitants berlinois semblent bien peu l’intéresser. Seules leurs voix existent pour habiller cette ville qui fut maintes fois mise à nu. Les quelques paroles – sous-titrées, ici et là – ne cherchant jamais à apposer un sens aux images montrées mais bien à offrir des pistes d’interprétations sur l’Histoire de Berlin à travers un véritable échange entre la ville et la réalisatrice. Une manière singulière de raconter le passé des lieux filmés et les souvenirs qui y sont attachés. La cinéaste regarde la ville comme la ville semble regarder la femme tout en la poussant à l’introspection.

Plus tard, et dans cette même idée, un libraire raconte, en off, comme il aura choisi la migration préférant les mines de charbon russes aux camps de concentration allemands. Et Annik Leroy de montrer sa propre disparition à l’écran, par trois fois, comme si cette guerre, ce génocide avait privé cette ville de toute vie, jusqu’à se montrer elle – l’artiste, symbole de mémoire s’il en est - comme une fantôme, déambuler et peiner à exister devant pareille Histoire. Mais si les êtres passent et les villes changent, les souvenirs, eux, restent. Ce film en est une preuve éclatante.

Cette ville montrée comme dépeuplée à eu mille vies et ce sont les plus intimes d’entre-elles qui seront contées laissant à nouveau le décorum en dire bien davantage. Les voix-off traversant le film – et laissant par définition l’orateur hors-champs - peuplent le film d’encore plus de fantômes. Mais de rares fois, la vie reprend son dû. D’abord quelques passants animent les rues, puis évidemment, les enfants et leurs jeux incessants qui habillent de cris et de rires toutes les cités du monde.

Mais Berlin, métropole écartelée, a cette froideur majestueuse laissant place au-delà du mur à une chaleur incomparable, comme plus tard, les avenues infinies mèneront à la vie battante des quartiers immigrés. Cette impression de découvrir ces spécificités berlinoises sont accentuées par la caméra 16 mm portée, donnant l’envie de suivre la guide-cinéaste. En proposant au spectateur un rôle d’accompagnateur de ses déambulations, Annik Leroy, confère au film une étrange subjectivité et offre la possibilité de visiter la capitale à travers son propre regard. Une ville chargée d’une forme de mélancolie dont la metteuse en scène semble follement nostalgique.

Après, Mahler, Wagner ou Nietzsche, c’est sur une citation de Peter Handke – récent et brillant prix Nobel – que clôt le film. C’est alors, à Wim Wenders et aux pérégrinations des Ailes du désir que l’on pense indubitablement. Ainsi, le film se réfère avec évidence à un cinéma de l’errance. Un cinéma qui – sans que l’on puisse concrètement parler d’un courant codifié - compte sur la force poétique des images avant leur efficacité première et qui fut très en vogue dans les décennies entourant la sortie de In der Dämmerstunde Berlin de l’aube à la nuit.

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