JCVD de Mabrouk El Mechri
Publié le 07/06/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique
« Si tu enlèves l’air, les oiseaux tombent… » Pour ceux qui connaissent mal Jean-Claude Van Varenberg, alias Jean-Claude Van Damme, alias «The Muscles from Brussels», le personnage se résume malheureusement encore trop souvent à ce genre d’adages frappés au coin du bon sens déclamés par un gentil idiot, acteur has been de films d’action simplistes sortant aujourd’hui non plus sur nos grands écrans mais dans les bacs des DVDs. Un adepte des anglicismes les plus improbables, des apparitions télévisées les plus édifiantes et d’une attitude extraterrestre qui prête à rire ! Bref Jean-Claude est devenu pour un public qui se refuse à voir au-delà des apparences, un irrécupérable guignol, la blague belge à la mode.
Le projet JCVD dont le titre à l’international, Van Dammage est quand même beaucoup plus parlant, arrive donc à point nommé pour remettre les pendules à l’heure, pour faire le point sur un personnage finalement méconnu. Initiée par le réalisateur Mabrouk El Mechri (Virgil), secondée par les scénaristes Christophe Turpin (Jean-Philippe) et Frédéric Bénudis (réalisateur en 2003 d’un documentaire intitulé Dans la Peau de Jean-Claude Van Damme), cette fiction inspirée de la réalité, tournée presque intégralement dans les rues de Schaarbeek va, un peu à l’instar de Bertrand Blier dans son chef-d’œuvre oublié Les Acteurs, démolir le personnage réel pour le reconstruire en un héros récalcitrant d’un film faussement autobiographique à l’humour aigre-doux réjouissant.
On appelle ça un retour de bâton ! Lessivé, has been, proche de la banqueroute, poursuivi par le FISC, renié par son public, considéré comme un gugusse par le reste du monde, victime du système et des médias, en procès pour la garde de sa fille, à cours d’argent et de ressources, Van Damme en est réduit à accepter le premier film d’action minable tourné au rabais en Bulgarie, loin de sa gloire d’antan et des ponts d’or offerts par Hollywood. Avant de se rendre sur le plateau de No Limited Injury 2, qui finalement lui échappera au profit de son rival Steven Seagal, Jean-Claude est de passage à Bruxelles. Dans l’attente d’un important mandat bancaire, il se rend à la poste de Schaarbeek… où il va, bien malgré lui, se retrouver au milieu d'un braquage des plus violents. Les médias qui s’en mêlent vont faire les choux gras de l’évènement et désigner l’acteur dépressif comme l’instigateur du méfait. Van Damme, l’acteur fini a-t-il finalement pété les plombs ? En est-il réduit à braquer une banque ? L’inspecteur Christian Bruges (l’hilarant – et pour une fois assez sobre - François Damiens) est donc chargé de négocier avec les malfrats, dont le leader (Zinedine Soualem) est le portrait craché, en plus violent du John Cazale de Dog Day Afternoon, un des modèles à qui le réalisateur rend hommage. Bruges aura également fort à faire pour calmer les parents de l’acteur, incarnés avec conviction et humour par… les parents de l’acteur qui jouent le jeu avec beaucoup de courage !Jean-Claude Van Damme, le kickboxer autrefois capable de voyager dans le temps ou de briser des noix entre ses fesses pendant qu’il fait l’amour à Rosanna Arquette est donc un homme à terre. Dans le film, la situation est poussée à son paroxysme et largement amplifiée par rapport à la réalité !Mais qu’il s’agisse pour J.C.V.D de réalité ou de fiction, l’image d’un homme,dans cette société où les médias-poubelles usent et abusent des raccourcis les plus honteux, est quelque chose de presque insurmontable, un combat perdu d’avance. Pour le public qui ne le connaît pas, le comédien est donc ce crétin congénital et c’est décidé, il le restera. Et pourtant, grâce à ce film, Jean-Claude va relever le défi, avec une humilité et un manque de prétention qu’on ne lui connaissait pas vraiment jusque là.
Il est donc admirable de sa part d’oublier toute notion de fierté et de reprendre du poil de la bête en démontrant, de la plus belle des manières, que derrière les apparences faciles se cache un homme fragile, à l’âme noble et au grand cœur. Il est proprement hallucinant de voir la tristesse dans les yeux de cet homme brisé lorsqu’il surprend à la télé un florilège des ses apparitions azymutées. Incroyable encore de le voir, dans la scène la plus drôle du film, s’excuser et se faire vertement tancer par une chauffeuse de taxi imbuvable, sans moufeter. Emouvant encore de le voir jouer le jeu des braqueurs et se livrer à des singeries pour amuser la galerie, pour plaire à ses fans qui ne voient en lui que le karatéka rendu célèbre par son fameux grand écart. Comme mise en abyme et dans le registre de l’autodérision, on aura rarement vu un acteur plonger aussi loin. L’expérience est tout à fait inédite !
Le scénario est intelligent, certains dialogues savoureux et l’amour du réalisateur pour son acteur sincère. Pour preuve, cette scène déjà culte (et totalement improvisée) de quelques minutes où Van Damme, perché sur une grue qui l’élève symboliquement au-delà de l’action évoque, face caméra, sans coupure et sans triche (une seule prise fut nécessaire) son mal de vivre, sa tendresse, sa carrière, ses femmes, ses périodes de vaches maigres, ses tristesses, ses regrets, son combat avec la drogue, ses nombreuses erreurs, sa réputation, bref : ses amis… ses amours… ses emmerdes… Une scène d’une puissance émotionnelle rare dans laquelle l’acteur fait le « grand écart » entre sa vie familiale et sa vie professionnelle et fait preuve d’une intensité et d’une présence extraordinaires. Pendant ces quelques minutes, Van Damme ne joue pas, il est. Une mise à nu qui, s'il y a une justice dans ce bas monde, lui vaudra une nomination pour le César du meilleur acteur en 2009 (mais ne rêvons pas, l’Académie des César n’a jamais eu ce genre de courage…) Son visage cassé, à 47 ans, bouffe l’écran. Un visage taillé au burin qui en a vu de toutes les couleurs, sur lequel le poids des ans commence à montrer son emprise inéluctable. Un visage fatigué, triste, sincère, humain, bourré d’humour et d’autodérision, beau tout simplement. Très beau. À vous tirer des larmes…
Le film démarre de manière audacieuse et pittoresque par un long plan-séquence sur le tournage d’un film d’action, une scène hélas à moitié réussie car n’arrivant pas à mettre en valeur comme autrefois les prouesses physiques de sa vedette. Le ton du film n’est pas à la franche rigolade, loin de là. Nous n’avons pas affaire à une grosse blague d’une heure et demie, et nous sommes loin de l’absurde à la Spike Jonze et son Being John Malkovich, à qui la presse, qui manque cruellement d’imagination, compare déjà le film à tort et à travers. El Mechri signe un drame policier dans lequel les scènes de comédie viennent du personnage principal et de sa réputation désastreuse. À cet égard, le film se rapproche donc beaucoup plus du Grosse Fatigue de Michel Blanc (co-écrit, tiens, tiens… par Bertrand Blier) contant la descente aux enfers d’un personnage finalement ordinaire, un acteur populaire à la déroute et dont l’aura extraordinaire, celle d’une « personnalité médiatisée à outrance » contraste fortement avec ce qu’il est vraiment et va lui ruiner l’existence. La dernière scène, étonnante et sobre est une des plus belles dernières scènes que l’on ait vues depuis longtemps.
Le scénario est intelligent, certains dialogues savoureux et l’amour du réalisateur pour son acteur sincère. Pour preuve, cette scène déjà culte (et totalement improvisée) de quelques minutes où Van Damme, perché sur une grue qui l’élève symboliquement au-delà de l’action évoque, face caméra, sans coupure et sans triche (une seule prise fut nécessaire) son mal de vivre, sa tendresse, sa carrière, ses femmes, ses périodes de vaches maigres, ses tristesses, ses regrets, son combat avec la drogue, ses nombreuses erreurs, sa réputation, bref : ses amis… ses amours… ses emmerdes… Une scène d’une puissance émotionnelle rare dans laquelle l’acteur fait le « grand écart » entre sa vie familiale et sa vie professionnelle et fait preuve d’une intensité et d’une présence extraordinaires. Pendant ces quelques minutes, Van Damme ne joue pas, il est. Une mise à nu qui, s'il y a une justice dans ce bas monde, lui vaudra une nomination pour le César du meilleur acteur en 2009 (mais ne rêvons pas, l’Académie des César n’a jamais eu ce genre de courage…) Son visage cassé, à 47 ans, bouffe l’écran. Un visage taillé au burin qui en a vu de toutes les couleurs, sur lequel le poids des ans commence à montrer son emprise inéluctable. Un visage fatigué, triste, sincère, humain, bourré d’humour et d’autodérision, beau tout simplement. Très beau. À vous tirer des larmes…
Le film démarre de manière audacieuse et pittoresque par un long plan-séquence sur le tournage d’un film d’action, une scène hélas à moitié réussie car n’arrivant pas à mettre en valeur comme autrefois les prouesses physiques de sa vedette. Le ton du film n’est pas à la franche rigolade, loin de là. Nous n’avons pas affaire à une grosse blague d’une heure et demie, et nous sommes loin de l’absurde à la Spike Jonze et son Being John Malkovich, à qui la presse, qui manque cruellement d’imagination, compare déjà le film à tort et à travers. El Mechri signe un drame policier dans lequel les scènes de comédie viennent du personnage principal et de sa réputation désastreuse. À cet égard, le film se rapproche donc beaucoup plus du Grosse Fatigue de Michel Blanc (co-écrit, tiens, tiens… par Bertrand Blier) contant la descente aux enfers d’un personnage finalement ordinaire, un acteur populaire à la déroute et dont l’aura extraordinaire, celle d’une « personnalité médiatisée à outrance » contraste fortement avec ce qu’il est vraiment et va lui ruiner l’existence. La dernière scène, étonnante et sobre est une des plus belles dernières scènes que l’on ait vues depuis longtemps.
De sérieux bémols viennent malheureusement entacher la réussite totale du film : une réalisation prétentieuse et emplie de préciosité, surtout dans un montage inutilement alambiqué à la Pulp Fiction qui alourdit l’ensemble et ne va pas directement à l’essentiel. Autre réserve, de taille : la direction artistique avec sa photographie vert-de-gris, dans les clairs obscurs contrastés, sans arrêt en surexposition. Idéal pour les nombreux gros plans sur le visage du « héros » mais gênant quand c’est appliqué à toute l’heure 36 que dure le métrage. N’est pas Terrence Malick qui veut… Les seconds rôles sont peu développés (François Damiens est sacrifié dans le troisième acte, Soualem est peu crédible et carrément vulgaire en grosse brute…) Le film n’est donc pas parfait… Big deal !...
JCVD aura au moins le mérite de réhabiliter Van Damme auprès de ceux qui l’avaient déjà jugé et condamné sans procès équitable. Pour les autres qui, comme l’auteur de ces lignes, sont acquis à sa cause parce qu’ils connaissent sa carrière, JCVD sera une preuve de plus du talent, de l’humour et, oui, disons-le sans crainte, de l’intelligence de l’acteur. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre depuis quelques années dans Replicant (2000) et In Hell (2003), de Ringo Lam, ou encore dans Wake Of Death (2004) de Philippe Martinez savent pertinemment à quel point l’acteur a énormément progressé dans son jeu depuis ses débuts de star internationale dans Black Tiger et Bloodsport (tous deux de 1987). Trois œuvres qui éclipsent facilement les quelques navets tournés à la va-vite pour payer les impôts (The Order en 2001, Derailed en 2002, Second In Command en 2006, The Shepherd en 2007…) Dans le film de Martinez, la ressemblance physique, l’économie de paroles, l’émotion qui passe uniquement par le visage et le regard faisaient penser immanquablement à un autre TRES grand acteur controversé… Son nom est Alain Delon ! Un acteur qui, comme par hasard, aurait lui aussi bien besoin de remettre les pendules à l’heure vis-à-vis de son image publique détestable. Espérons que le film de Mabrouk El Mechri aura, en plus de ses mérites évoqués plus haut, et malgré ses gros défauts, celui de redonner un coup de fouet à la carrière moribonde de Jean-Claude. Espérons que Van Damme puisse enfin concrétiser son vieux projet du nom de Kumite son deuxième film de réalisateur, perdu dans les limbes du development hell depuis 5 ans. Il est grand temps que les réalisateurs et producteurs d’Hollywood ou d’ailleurs se réveillent et soient un peu plus aware… Van Damme le mérite. Le gros Steven Seagal presque soixantenaire n’a qu’à bien s’accrocher à sa queue de cheval.