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Kill me please, d’Olias Barco

Publié le 08/11/2010 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Coup médiatique ou bonne blague de potaches ?

Un petit film belge n’aura sans doute jamais été précédé d’un "Buzz" aussi tonitruant. La RTBF, coproductrice du film, a visiblement décidé de mettre le paquet pour la promo et occupe l’espace médiatique, notamment l’Internet, avec un marketing pour le moins assertif. "Tant mieux pour le film", me direz-vous. "Cela lui donnera au moins une chance de passer la barrière du silence dont souffrent tant de films belges qui passent à l'écart de leur public." Certes, mais la communication de vente ne fait pas dans la dentelle, et la teneur de cette campagne gêne quand même aux entournures. En cause, l'affinité savamment entretenue avec C’est arrivé près de chez vous. Or, face au rouleau compresseur publicitaire, disons-le clair et net, il n’y a pas dans Kill Me please la moindre parcelle de l’ancrage sociologique qu’on trouvait dans C’est arrivé… . Pas davantage de la critique sociale ni de la satire des medias qui faisait toute la valeur du film culte des années 90 et donnait du sens au reste. De comparable, il n’y a que le "reste" : la provocation, l’outrance comme principal ressort comique, des numéros d’acteurs souvent brillants, mais en roue libre, des images noir et blanc, avec du grain, et qui bougent dans tous les sens "pour faire plus vrai". Par ailleurs, Kill me please est un projet qui tient très bien debout tout seul, sans avoir besoin de ce genre de comparaison. Un tel tapage ne pourra qu’accréditer l’idée que la comédie noire d'Olias Barco a été faite uniquement pour courir maladroitement derrière le succès de C’est arrivé…, dans la croyance qu’utiliser les mêmes méthodes pourrait amener les mêmes résultats.
Promo oui, il en faut dans notre monde sursaturé d’événements de toutes sortes, médiatiquement orchestrés. Mais faut-il pour autant vendre un film comme une lessive, à base de gros n’importe quoi ? Un "produit" culturel (même au sens large) ne mérite-t-il pas une communication plus subtile ?
D’autant que, Kill me please, on l'a dit, peut très bien se passer de ce genre de promo inepte. Sans apporter en quoi que ce soit du sang neuf à un genre cinématographique (la comédie provocatrice à l’acide) qui a trop tendance, ces derniers temps, à se mordre la queue, le réalisateur Olias Barco nous a mitonné un divertissement tout à fait convenable. Du moins pour les amateurs du genre, qui trouvent dans l’hyperbole et la transgression un procédé propre à provoquer une hilarité de bon aloi.

Quand les scénaristes Olias Barco, Stéphane Malandrin et Virgile Bramly découvrent l’existence de Dignitas, une association suisse fournissant des services d'aide au suicide, ils se prennent à imaginer un monde où mettre fin à ses jours deviendrait un acte médical comme un autre, effectué en milieu thérapeutique et remboursé par la sécurité sociale. Et d’inventer la clinique du Docteur Kruger, structure privée mais subventionnée par le gouvernement, isolée dans la nature, où les personnes qui souhaitent mettre fin à leurs jours trouvent aide et assistance. Pendant que des suicidaires en tout genre défilent devant la caméra, on comprend vite que le but du docteur Kruger est d’encadrer, et si possible de maîtriser, la pulsion de mort de sa clientèle : en clair de la dissuader de passer à l’acte. Hélas, le bon docteur a fort à faire pour éloigner ses patients de leur irrépressible fascination pour le trépas. En outre, dans les environs, on apprécie peu la clinique et son commerce avec la camarde. Un jour, tout bascule : le bâtiment est victime d’un incendie, ses occupants pris pour cible par des villageois armés de fusils. Soudain, on ne contrôle plus la faucheuse. Elle est là, sauvage et brutale, et chacun doit trouver le moyen de composer avec elle.
Un argument que n’aurait peut-être pas désavoué Ingmar Bergman. Il en aurait tiré un film profond, lent, rythmé par les angoisses et les interrogations sur le sens de la vie et de la mort. Mais à Bergman, l’équipe du film a préféré Marco Ferreri, en prenant la thématique du suicide comme prétexte d’une comédie au vitriol. On trouve en effet à Kill me please au moins autant d’affinités avec La grande bouffe qu’avec C’est arrivé…, en sachant que l’aspect de contestation révolutionnaire de l’ordre établi du film de Ferreri est totalement absent ici. Mais l’errance un peu lunaire de ces personnages, tous atteints, à des degrés divers, d’une boursouflure de l’ego qui les renvoie, fascinés, au spectre de leur propre destruction, a quelque chose de commun avec l’emphase grandiloquente des bourgeois de Ferreri. Tout comme l’aspect grotesque jusqu’à l’absurde de cet univers aux confins de la folie et de la mort semble rapprocher les deux films. Ce qui les distingue (sans faire intervenir d’appréciation quant aux talents respectifs) tient davantage de l’époque. Il n’y a plus, chez Olias Barco et ses amis, de volonté de dénoncer ou de changer quoi que ce soit, mais uniquement l’envie de distraire (la réflexion venant éventuellement - et accessoirement- après). Pour ce faire, on joue avec les limites d’un scénario décalé, on se réfère, jusqu’à la parodie, aux procédés du film noir et du slasher, on emploie habilement les ressources des comédiens pour composer des personnages dingues mais attachants, et on joue à fond la carte du comique de situation. Efficace sans doute, mais la technique passe au détriment de l’âme. Le film ressemble davantage à une juxtaposition de scènes développées une à une pour leur potentiel émotif et leur aspect comique qu’à une composition, liée intérieurement par la volonté de raconter une histoire.
L’ensemble de ces scènes, superbement interprétées par un casting de grand luxe, forme néanmoins une efficace machine à faire rire les amateurs du genre. Ne trompons pas le spectateur : Kill me please est essentiellement une comédie. D’un comique au picrate, cynique et grinçant, tout entier dans la transgression, le film vise à distraire. Il joue habilement, outre les ressorts comiques sur lesquels nous ne revenons pas, de deux atouts de charme. Le premier est le côté série B franchement assumé. Réalisé avec les moyens du bord, Kill me please endosse, sans complexe, les conséquences de son indigence budgétaire. Le second atout est l’équipe. On ne s’étendra pas sur la formidable distribution qui réunit la joyeuse bande de La Parti au grand complet (de Poelvoorde et Lanners à Tavier ou Malandrin) en passant par les techniciens (Meert, Piscopo, Ryckaert), des personnalités des media (Jerôme Colin, Virginie Efira,…), des copains de longue date (Daniel Cohen ou Philippe Nahon) et des collaborations plus étonnantes (Saul Rubinek,…). Ne manquent que Patar et Aubier. Toutes ces pointures sont là par amitié, pour le fun, et la plupart en participation. À n’en pas douter, le tournage n’a pas été triste au Château de la poste, dans les environs de Namur, où fut recréée la clinique du docteur Kruger. Les comédiens se lâchent avec une jubilation communicative. Selon les auteurs eux-mêmes, le script a été conçu de façon à leur laisser la liberté nécessaire pour composer et improviser. Et si l’on pouvait s’attendre, à la vision du film, à une impression de décousu, on est plutôt heureusement surpris. On a veillé au respect du ton général, empreint de gravité, et on s’amuse franchement de l’interprétation, en total décalage avec des personnages et des situations en complète déjante.
Vous l’aurez compris, même s’il irrite, Kill me please est moins un brûlot sulfureux qu’une blague de potaches qui prennent plaisir à repousser, de façon truculente, les conventions consensuelles de la bienséance et du bon goût. Cette liberté profanatoire fera sans doute ronchonner les grincheux et pourra choquer certaines personnes, blessées de voir traiter, à la hussarde, des sujets aussi graves que la souffrance psychique, le deuil ou la mort. Nous n’en retiendrons qu’une série B jubilatoire, un bon divertissement du samedi soir pour public un peu bravache et une démonstration de plus du savoir faire des professionnels belges quant il s’agit de ficeler proprement, et avec trois francs six sous, une comédie décalée, déjantée et ultra référencée.

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