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L'Amour est une fête de Cédric Anger

Publié le 17/09/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les plaisirs démodés

« C’est le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure », fredonnait Françoise Hardy, des paroles qui résument à merveille l’Amour est une fête, le nouveau film du réalisateur du Tueur, de L’Avocat et de La Prochaine fois, je viserai le cœur. Jusqu’à présent, Cédric Anger était adepte d’un cinéma de genre carré et de scénarios à l’américaine, une prédilection qui l’avait imposé comme un solide artisan du polar camembert.

L’Amour est une fête démarre lui aussi comme un polar mais cette fois, Anger multiplie les registres et propose une œuvre beaucoup plus libre, joyeuse et fantasque, qui surfe sans cesse sur les faux-semblants et sur l’imprévu, au point qu’on en sort un peu désarçonné. Ça commence comme une chronique du milieu du porno français au début des années 80, à la Boogie Nights, avec ce que cela implique de nudité, de scènes de batifolage et de défonce. 25 minutes après le début du film, un flashback inattendu vient remettre en cause tout ce que nous venons de voir : les producteurs drogués jusqu’aux yeux (Guillaume Canet et Gilles Lellouche) dont nous venons de faire la connaissance sont en fait deux flics infiltrés dans le milieu pour faire tomber un chef de la pègre qui blanchit son argent en l’investissant dans des tournages de pornos. Ensuite, alors que nos Serpicos à verres fumés commencent à se laisser bercer par cette douce existence parallèle, le film effectue un nouveau virage.

La partie thriller est bientôt évacuée du récit pour laisser la place à un conte libertaire, célébration nostalgique de ces années où la pornographie n’avait pas encore perdu son innocence. Le film dévoile petit à petit sa vraie nature et sa raison d’être : réunir une bande de potes hédonistes, venus d’horizons différents (flics ou truands, peu importe), dans une ode à l’amour libre, au cinéma amateur fabriqué avec amour. L’aspect polar est carrément tourné en dérision avec ce gag savoureux qui voit un jeune flic infiltré dans le rôle d’un hardeur obligé de tourner sa première scène de sexe parce que ses collègues arrivent en retard pour la perquisition du plateau… Nous sommes en 1982, à la fin de l’âge d’or du X, quand les hardeurs laissaient leurs viriles moustaches et leurs majestueuses rouflaquettes jouer à leur place. De toute évidence, Cédric Anger regrette le X vintage, humoristique, tendre, raffiné et surréaliste, qui se pratiquait dans une atmosphère de confiance et de camaraderie. Bien entendu, Anger embellit parfois la réalité afin de donner une image idyllique du milieu. Il crée un microcosme égalitaire, naïf diront certains, où tous les sexes sont sur un pied d’égalité (façon de parler…) et où tout le monde est très content d’être là.

Le film se déroule quelques années seulement avant que le SIDA et les tournages bâclés en vidéo ne viennent tout gâcher, que la vulgarité et l’industrialisation du genre ne prennent définitivement le dessus. À notre triste époque, où le moralisme repointe le bout de son nez, où la censure revient en force, où la simple évocation du corps féminin est redevenue problématique, Anger compose une émouvante lettre d’amour à cet âge d’or dans l’espoir de retrouver un peu de cette magie perdue. Il souligne également au passage que la révolution sexuelle était avant tout féministe !

Le réalisateur a convoqué une troupe d’acteurs qui, sans exception, s’en donnent à cœur joie. Canet incarne un flic dépressif et désespérément romantique qui tombe follement amoureux de Virginie, une actrice novice qui s’ébat devant lui avec toutes sortes d’apollons moustachus. Camille Razat (une révélation) incarne cette Virginie qui entre dans le monde de la pornographie avec une certaine appréhension mais finit par s’y épanouir et y trouver une famille de substitution. Lellouche est épatant dans le rôle d’un emmerdeur un peu beauf et un peu lâche qui, faute d’avoir trouvé une autre solution, se montre outrageusement odieux envers son épouse délaissée, parce qu’il a peur de la quitter. Le gargantuesque Michel Fau est un gangster toxicomane, un Hugh Hefner à la française, tellement dérangé qu’il part enterrer sa défunte mère dans la forêt lors d’une nuit de beuverie pour éviter les frais d’enterrement. Mais on retiendra surtout la prestation hilarante de Xavier Beauvois (César du Second Rôle Masculin assuré !) en cinéaste mégalo dont le projet rêvé est de tourner la suite de Citizen Kane pour le public familial, dans laquelle on découvrirait que Rosebud, retrouvé intact dans l’âtre de Xanadu, est un traîneau volant doté de pouvoirs magiques. Ce personnage bienveillant, paternel, attentif au confort de ses protégées, est un magnifique pied-de-nez aux Harvey Weinstein, Brett Ratner, Luc Besson et consorts qui ont défrayé la chronique judiciaire de ces derniers mois pour leurs abus sexuels et de pouvoir.

Peu importe que le récit s’égare parfois dans des scènes superflues (le pétage de plombs de Gilles Lellouche sur un court de tennis), dès que le film trouve sa vitesse de croisière et s’apaise pour baguenauder dans les pâturages d’un cinéma suranné, l’Amour est une fête propose quelques scènes d’une poésie irrésistible. Et s’impose, en double-programme avec le récent Un couteau dans le cœur (de Yann Gonzalez) comme un hommage sincère à une époque et à une contre-culture « honteuse », comme une sorte de Nuit Américaine avec des poils en plus.

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