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L’emprise des sentiments, de Bernadette Saint-Remi - 2023

Publié le 20/08/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

En finir avec les violences faites aux femmes. Si la cinéaste aguerrie Bernadette Saint-Rémi utilise ce sous-titre sans équivoque pour son dernier film, c’est peut-être qu’il est temps en 2024 de mettre à bas les mécaniques de domination qui infusent notre société et gangrènent les vies de tant de femmes, de filles, de mères et de voisines bien plus proches qu’on ne voudrait le penser. En se posant avec elle dans ces lieux de rencontres semblables à des cocons, où l’emprise et la violence n’auront jamais leur place, la réalisatrice met en lumière le travail ô combien nécessaire de ces accompagnantes, véritables rocs auprès desquels ces femmes meurtries viennent se réfugier.

Le film est actuellement librement accessible sur auvio.

L’emprise des sentiments, de Bernadette Saint-Remi - 2023

“Ici, la neutralité donne raison à l’auteur des violences”, répond-on aux accompagnées en détresse qui viennent chercher ce que leurs familles n’ont parfois pas pu leur donner. Dans un contexte doux et apaisant, mais sans complaisance, Bernadette Saint-Rémi filme les dos arqués, les mains qui s’agitent, les voix frémissantes d’émotion pour dévoiler toute l’emprise qu’ont subie ces victimes. Des femmes pour qui la vie est devenue survie.

À plusieurs étapes du parcours, nous suivons celles-ci et leurs accompagnantes dans leurs échanges et leurs moments de tristesse, mais aussi dans la reconstruction qu’elles entament ensemble, et dans le partage qui les rend plus fortes. Car pour en finir avec les violences faites aux femmes, qui de mieux placées que d’autres femmes elles-mêmes, faisant bloc et se soutenant littéralement pour accroître leur solidité, renforcer leurs appuis, se sentir de nouveau en confiance et empouvoirées par leurs pairs ?

Mais malgré cela, on sent la force infinie qui leur est nécessaire pour vaincre cette situation qu’elles subissent sans jamais l’avoir convoquée. Et en suivant ces personnages au travers de leurs évolutions et des rencontres qui s’étalent sur plusieurs mois, la réalisatrice nous permet de comprendre toute l’énergie et la résilience que rassemblent ces femmes hors du commun et pourtant si communes.

Héroïnes d’un autre genre, les accompagnantes subissent elles aussi de plein fouet ces histoires, ces récits dont elles sont confidentes sans pouvoir agir directement, sans pouvoir sortir de leurs gonds. Pour tenir bon, elles réparent ensemble et échangent au travers de l’art japonais du kintsugi, réparation d’objets brisés recollés avec une préparation contenant de la poudre d’or. Métaphore de ces femmes qu’elles accompagnent pour mieux les reconstruire et les rendre plus belles malgré leurs blessures, mais aussi moyen pour pouvoir échanger sur leurs expériences, sur leurs propres défis et partager la charge émotionnelle de ce travail surhumain, nécessaire, dont la demande ne va jamais diminuer et qui pourtant ne devrait pas devoir exister. Montées d’émotions qui débordent, barrages qui se brisent et libèrent des tsunamis de sentiments, ces soubresauts révèlent devant l’objectif de Bernadette Saint-Rémi l’importance pour les accompagnantes d’être posées, de pouvoir mettre les formes, travailler en grattant sans abîmer. Pour que ces blessées puissent se dire : je suis cette femme qui a dû tout porter, je dois accepter l’inacceptable, pour aller désormais de l’avant pour moi-même.

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