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La Bonne épouse de Martin Provost

Publié le 01/07/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

68, année érotique ?...

 

« Voici les sept piliers qui feront de vous, mesdemoiselles, la perle des ménagères, un rêve pour vos futurs époux. Pilier n°1 : La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur. Pilier n°2 : Une véritable maîtresse de maison se doit d’accomplir ses tâches quotidiennes : cuisine, repassage, raccommodage, ménage, dans une abnégation totale et sans jamais se plaindre. Pilier n°3 : Etre femme au foyer, c’est savoir tenir ses comptes dans un souci d’économie constant, savoir évaluer sans caprice les besoins de chacun, sans jamais mettre en avant les siens. Vous êtes une trésorière, pas une dépensière ! Pilier n°4 : Etre femme au foyer c’est être la gardienne de l’hygiène corporelle et ménagère de toute la maisonnée. Pilier n°5 : Première levée, dernière couchée ! La bonne ménagère ne se laisse jamais aller. Sa coquetterie, son amabilité, sa bonne tenue étant les garants de ce qu’on appelle « l’esprit de famille ». Pilier n°6 : La bonne ménagère s’interdit toute consommation d’alcool, se devant de toujours montrer l’exemple, surtout à ses enfants. En revanche, elle saura fermer les yeux et se montrer conciliante si son époux se laissait aller à ce mauvais penchant. Pilier n°7 : Un dernier devoir est à la bonne épouse ce que le travail est à l’homme, parfois une joie, souvent une contrainte. Je veux parler du devoir conjugal. Avec le temps et en y mettant un peu de soi-même, on franchira cette épreuve, aussi pénible et ingrate soit-elle. L’expérience vous apprendra qu’il en va de la bonne santé physique et morale de toute la famille. » - (Extrait du cours de bonne tenue de Paulette Van der Beck.)

 

1968. Depuis des décennies, l'école ménagère de Boersch, en Alsace, se donne pour mission de former ses élèves à devenir des fées du logis. Apporter ses pantoufles à son « maître », lui obéir en toute circonstance, renoncer à ses propres désirs… La femme, qui ne ramène pas d’argent dans le foyer, n’a droit à aucune forme de reconnaissance. Voilà ce qu’enseigne Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche) à des générations de jeunes filles. Son époux, Robert (François Berléand), a beau être complètement idiot et légèrement obsédé sexuel, rien n’y fait : il est Dieu dans sa maison, le mâle dominant, symbole du patriarcat de l’époque qui vivait aux dépens des femmes. Pour aider Paulette dans sa tâche, deux vieilles filles qui lui obéissent au doigt et à l’œil : sa fantaisiste et lunaire belle-sœur, Gilberte (Yolande Moreau), qui enseigne les arts culinaires et soigne sa solitude en écoutant en boucle Tombe la Neige, d’un certain Adamo, et Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky), une autoritaire nonne à moustache qui impose une discipline de fer aux étudiantes.

Mais les certitudes de Paulette, Gilberte et Marie-Thérèse vacillent quand Robert décède inopinément, puis volent en éclats lorsqu’elles apprennent que l’homme qu’elles vénéraient aveuglément était criblé de dettes. Ruinées, elles se retrouvent confrontées à la fermeture possible de cet établissement qui représente toute leur vie. Par un heureux coup de pied du destin, Paulette retrouve son premier amour, le romantique André (Edouard Baer), un gentleman avec lequel, pour la première fois depuis longtemps, elle s’autorise à se laisser aller au bonheur. Juliette Binoche s’en donne à cœur joie dans le rôle de cette vieille fille psychorigide, asservie à une andouille patentée, mais qui va peu à peu revenir à la raison en laissant s’exprimer un désir depuis longtemps réprimé. Coincée entre passion et culpabilité (elle prend peu à peu conscience que ses leçons ne sont plus valables), Paulette va devoir réexaminer sa vie et peut-être même... commencer à porter le pantalon !

L’établissement vient d’accueillir une poignée de nouvelles pensionnaires récalcitrantes, à peine sorties de l’adolescence et peu enclines à devenir des boniches, interprétées par un quatuor de jeunes actrices épatantes. La rousse Corinne (Pauline Briands) est résignée à vivre son destin de fille cadette, sacrifiée au bénéfice de son frère, qui fait des études, alors qu’on la marie contre son gré. Albane (Anamaria Vartolomei) est terrifiée par la découverte de son homosexualité. Annie (Marie Zabukovec), la frondeuse, l’émancipée, est toujours la première à tenir tête à Paulette. Enfin, il y a Yvette (Lily Taïeb), une fille de ferme effacée, timide, naïve, à qui tout est interdit, qui ignorait la signification du mot « orgasme » et l’existence de cette mystérieuse « pilule contraceptive » dont ses copines parlent tout bas. À 18 ans, elles ne rêvent que du grand amour, de rock’n roll, d’aventure… de conquérir le monde ! Ça tombe assez bien : en ce mois de mai 1968, un vent de révolution souffle sur la France, début d’une prise de conscience collective et du mouvement de l’émancipation de la femme.

Coutumier des drames, le romancier, cinéaste et spécialiste de l’émancipation féminine au grand écran, Martin Provost (Le Ventre de Juliette, Séraphine, Violette, Sage Femme) surfe sur la vague féministe qui souffle depuis l’explosion des mouvements Times Up et @metoo pour poursuivre son exploration de la condition féminine, mais le fait cette fois sous la forme d’une irrésistible comédie de mœurs, jouant avec délectation du décalage entre un monde désuet, aux mentalités étriquées, et nos idées actuelles plus progressistes. La séquence la plus drôle intervient lorsqu’une équipe de télévision s’invite pour filmer un reportage dans l’établissement. L’hilarante Armelle incarne une simili-Denise Fabre amenée à faire preuve de beaucoup de patience lorsque Gilberte se retrouve pétrifiée par la présence de la caméra, perdant tous ses moyens. Une nouvelle démonstration du timing comique impeccable de Yolande Moreau, qui part en vrille dans une improvisation d’anthologie !

La Bonne épouse est un film léger qui traite d’un sujet de société grave, mais vieux comme le monde : l’assujettissement du « sexe faible », ce lavage de cerveau collectif que nos mères, nos sœurs et nos amies connaissent depuis la nuit des temps.

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