Cinergie.be

Le Cas Pinochet, Patricio Guzman, 2001

Publié le 07/12/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Grande richesse de la collection « Anthologie gratuite » de CINEMATEK, Le Cas Pinochet, film documentaire réalisé par Patricio Guzmán, fait l’objet d’une série de projections au 35 mm jusqu’au 17 décembre. Sélectionnée au Festival de Cannes et récompensée à San Francisco et à Marseille, cette œuvre admirable propose une reconstitution des procédures judiciaires sous tension initiées en 1998 pour une condamnation des atrocités causées par Augusto Pinochet. Patricio Guzmán procède à des recherches approfondies sur les arrestations, tortures et disparations par milliers qui caractérisent les dix-sept années de la dictature militaire. Ce faisant, il ne fait que confirmer son incontestable maîtrise de l’objet documentaire, de son langage, de ses fonctions dialectiques et modes de représentation.

Le Cas Pinochet, Patricio Guzman, 2001

Avec ce quatorzième long-métrage, Patricio Guzmán poursuit méticuleusement sa traversée de l’Histoire contemporaine chilienne, démarrée dès 1971, alors que le pays connaît une forte instabilité économique, soldée deux ans plus tard par le coup d’État d’Augusto Pinochet. Pour le réalisateur chilien, le point de départ consiste à retrouver les corps des victimes des actes délétères du gouvernement de Pinochet, composés essentiellement des chefs des armées. Pour approfondir sa démarche, Guzmán rencontre les familles de ses victimes et recueille leurs témoignages, mais également leurs sentiments, revendications et hommages. Cette initiative ne saurait se heurter qu’à une souffrance toujours plus grande, mais elle constitue un moyen déterminant de chasser l’oubli que les gouvernements post-Pinochet ont entrepris de faire régner sur ce passé effroyable et insensé.   

Dans cette même perspective, Patricio Guzmán interroge les principales personnalités ayant pris part à l’arrestation de Pinochet, alors même qu’il n’était plus à la tête du Chili, mais sénateur à vie. Parmi eux Baltasar Garzón, juge espagnol à l’origine du mandat d’arrêt international à l’encontre de Pinochet, Manuel García Castellón, également juge espagnol ayant enquêté sur les disparitions et assassinats, ainsi que Joan Garcés, avocat espagnol et conseiller personnel de Salvador Allende, prédécesseur socialiste de Pinochet. Garcés aura réussi à s’évader du palais présidentiel assiégé par les putschistes de 1973, après qu’Allende, selon les sources officielles, ait mis fin à ses jours. En homme consciencieux et engagé, il consacre alors vingt années de sa vie à reconstruire les faits et à rassembler des preuves pour que l’arrestation soit irréfutable et donc effective.

En outre, le film décrit les innombrables basculements engendrés par les obstacles politiques et juridiques auxquels se sont heurtées les tentatives d’arrestation, malgré le soutien ininterrompu des détracteurs de Pinochet. Patricio Guzmán compare ces inextricables procédures à une partie d’échecs, avec comme enjeux principaux l’immunité dont Pinochet pouvait prétendument bénéficier, ainsi que les lois internationales relatives à l’expatriation (rappelons que ce dernier se trouvait en voyage diplomatique à Londres lorsqu’il fut arrêté). Cependant, comme pour faire rejaillir la tension du climat, Guzmán donne la parole à des juristes anglais, dont un particulièrement clément à l’égard des exactions de Pinochet, sinon reconnaissant de son habileté à avoir tiré le Chili d’un mauvais tournant. Il montre aussi l’admiration que portait Margaret Thatcher à l’ancien président, contraint de rester à Londres le temps du procès.  

Mais plus poignants que tout le reste, demeurent les entretiens menés par Guzmán avec certaines victimes des tortures commises dans l’ombre et le silence ; des propos que le réalisateur recueille et dévoile avec un degré de pudeur sans doute jamais atteint dans le cinéma documentaire. Encore une fois, aucun mot ne saurait couvrir l’intensité des sentiments contraires que véhiculent les récits de ces personnes, des femmes essentiellement. Ce film, tout comme l’horreur qu’il décrit, est inoubliable. Le ton très juste qu’il adopte est notamment lié à une narration grave et sans détour qui, sobrement, porte en héros moderne chaque individu ayant souffert des mains de Pinochet ou combattu pour obtenir justice et faire résonner la vérité.  

Tout à propos de: