Cinergie.be

Le Tombeau de l’amiante, chronique d’un désastre annoncé de Marie-Anne Mangeot, Nina Toussaint

Publié le 14/10/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Amiante. Si le mot lui-même fait, de nos jours, froid dans le dos, il n’en était pas ainsi il y a quarante ans en Belgique, alors que florissait l’industrie de transformation de ce minerai dans notre plat pays. Inconscience collective, ou bien déni des principaux acteurs de ce “désastre annoncé” ?

 
Le Tombeau de l’amiante, chronique d’un désastre annoncé de Marie-Anne Mangeot, Nina Toussaint

Retour d’abord aux origines : la matière. Elle est la raison d’être de tout ce film. Matière arrachée à la terre dans des mines à ciel ouvert gigantesques, visitées par les équipes à la fin des années 80. Matière fibreuse, poussière quasi impalpable et qui s’insinue pourtant dans les poumons de ces travailleurs, travailleuses, citoyens et citoyennes exposés.ées à l’amiante sans en connaître les risques. Et ce, durant des décennies. Matière des preuves enfin, amenées par les médecins, les scientifiques opposés à cette utilisation à outrance, révélant les dangers de l’amiante à coups de radiographies, de rapports accablants. Tout est matière dans ce film, jusqu’aux coupures de journaux, aux lettres, aux photographies que nous montre ces archives vidéos

Pour construire cette chronique audiovisuelle, cette “histoire” de l’amiante en Belgique, Marie-Anne Mangeot s’est plongée avec Nina Toussaint dans près de quarante années d’images, d'enquêtes et de témoignages. Des images récoltées déjà à l’époque dans le but de tirer la sonnette d’alarme, et aujourd’hui compilées avec ce même objectif. Un projet né de la rencontre entre la journaliste et la cinéaste au détour de l’an 2000 1, dont ce film constitue l’aboutissement, même si le combat continue.

Tout est matière on l’a dit, ou presque. Au-dessus de ces paramètres tangibles du récit s’affrontent la parole, immatérielle. Des vérités contre des mensonges, des intérêts syndicaux et des capitaux contre des humanités meurtries, des personnes contre des conglomérats.

Des mots contre des mots, comme nous le raconte la réalisatrice en voix-off. “Ils savaient.”, nous dit la journaliste. “Ils savaient”, nous montre la cinéaste. Et nous, au regard de ces témoignages et de ces preuves, comprenons aisément qu’elles savaient qu’ils savaient. Il fallait juste vouloir les entendre. Marie-Anne Mangeot, par son travail journalistique, a donné une voix à celles et ceux qui n’en avaient pas, a mis en lumière les contradictions d’une industrie qui se voile la face pour maintenir son profit, et d’institutions pour lesquelles le plein emploi passe avant la santé de l’individu. Une somme de preuves accablantes, de témoignages francs, de vérités pour contrer des mensonges. Exerçant avec minutie et rigueur son rôle de quatrième pouvoir, le média audiovisuel a récolté, disséqué, analysé, comparé et conclu.

 

Le documentaire, lui, synthétise et ravive le discours critique sur un code du travail encore très favorable au patronat chez nous, contrairement à d’autres pays européens. Une attaque argumentée implacable, tout en servant également de trace d’un passé encore proche où l’amiante, “c’était cool”. Un rappel nécessaire à l’heure où ce matériau est toujours utilisé dans de nombreux pays, et où les désamiantages de milliers de bâtiments sont encore à conduire en Belgique. Édifiant autant que terrifiant.

 

1 Marie-Anne Mengeot et Nina Toussaint collaborent sur l’émission “Les risques de l’amiante ne s’arrêtent pas aux portes des usines”, magazine Autant Savoir, RTBF, 12.10.2000.

 

Tout à propos de: