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Les Olympiades, Paris 13ème de Jacques Audiard

Publié le 03/11/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Génération désenchantée

 

Pour qui entre complètement vierge d’informations dans la salle projetant le neuvième film de Jacques Audiard, au titre énigmatique (il désigne le quartier parisien du 13e arrondissement), la surprise risque d’être à la mesure de la réussite. Pour nous, ce fut le coup de foudre !… Abonné aux drames psychologiques intenses (De Battre mon Cœur s’est arrêté, De Rouille et d’Os, Dheepan), aux polars noirs (Sur mes Lèvres, Un Prophète) et dernièrement au western existentiel (Les Frères Sisters), Audiard, bientôt 70 ans, s’accorde pour la première fois une respiration dans la légèreté avec un film aux antipodes : sa première comédie romantique, adaptation de cinq courts récits de l’auteur de bandes dessinées américain Adrian Tomine, co-écrite avec les réalisatrices Céline Sciamma et Léa Mysius. Une fresque sentimentale sur le désir, très mélancolique, certes, mais une authentique comédie dans l’air du temps, baignant dans la sordide réalité sociale d’aujourd’hui (il y est question de sexisme, de harcèlement sur les réseaux sociaux et de sexe tarifé en ligne), parfois hilarante, souvent émouvante, dont l’arme secrète réside dans un trio de jeunes acteurs et actrices exceptionnels et dans leurs personnages aussi attachants qu’imparfaits.

Les Olympiades, Paris 13ème de Jacques Audiard

Nous suivons les destins croisés, les histoires de cœur et les coucheries de ces trentenaires dans le quartier des Olympiades. Trois âmes un peu paumées, coincées dans des impasses professionnelles, perpétuellement en attente d’un amour impossible. Trois beaux personnages solitaires qui font fausse route, encore et encore. Chacun a un beau diplôme en poche et s’épuise pourtant dans des jobs alimentaires « en attendant mieux ». C’est la génération des désillusions : en sortant de Sciences Po, ils font du surplace ou se retrouvent à travailler sur des chantiers ou cuistot dans des kébabs.

 

Emilie Wong (l’irrésistible Lucie Zhang, une vraie révélation) vient d’être virée de son job de vendeuse d’abonnements internet par téléphone pour s’être montrée impertinente envers une cliente. Elle se lance à corps perdu dans une relation passionnée avec son nouveau colocataire, Camille Germain (Makita Samba). Sans le dire, elle tombe follement amoureuse de lui, mais Camille ne voit leur idylle que comme un passe-temps. Emilie utilise le cynisme et la mauvaise humeur comme une carapace contre son immense chagrin. La jeune femme, qui sert parfois d’interprète en langue chinoise, est immature, égocentrique, toujours de mauvaise foi, et peut souvent se montrer insupportable, y compris au boulot. Son humour décapant, que peu comprennent, ne fait, en général, rire qu’elle.

 

Le séduisant Camille, quant à lui, collectionne les brèves conquêtes et les jobs (prof de français intérimaire, responsable d’une agence immobilière). Un peu méprisant et grand donneur de leçons devant l’éternel, il est qualifié par sa sœur Eponine de « vieux con pontifiant avant l’heure ». Terriblement égocentrique, Camille cache la vacuité de son existence derrière son charme, son intellect et ses airs vaguement supérieurs. Tomber amoureux, notamment d’Emilie, très peu pour lui… jusqu’au jour où il rencontre Nora.

 

Nora Ligier (Noémie Merlant) est une provinciale montée à Paris pour reprendre des études de droit pénal. Mais elle est dépitée après un malentendu traumatisant : affublée d’une perruque blonde lors d’une rave party, elle est confondue avec Amber Sweet (Jehnny Beth), une cam-girl populaire qui fait des shows porno sur le net, et humiliée par ses camarades de classe sur les réseaux sociaux. Suite à cet incident, Nora abandonne ses études et décroche un emploi aux côtés de Camille dans une agence immobilière. Souffrant d’un grand manque de confiance en elle, Nora se sent très seule, se trouve ennuyeuse, voire frigide. Constamment dans le doute (vis-à-vis de sa sexualité, de sa vie professionnelle), elle a le plus grand mal à exprimer ses sentiments et à exploiter son immense potentiel. Curieuse, elle contacte Amber Sweet sur le net et, au fil du temps, leurs relations tarifées par webcam deviennent de plus en plus intimes. Une amitié sincère naît entre ces deux jeunes femmes qui viennent de deux univers complètement opposés et qui, pourtant, vont se trouver des points communs.

 

Audiard aime follement ces personnages, aussi déglingués et désespérants soient-ils dans leur immobilisme, et les met en scène dans un film tantôt drôle, romantique et sensuel, tantôt très cru, mais qui évite à tout prix le pessimisme. Animé par des protagonistes effrayés par leurs sentiments, qu’ils refusent d’assumer et ne savent de toute façon pas traduire en mots, Les Olympiades, Paris 13e est, sans le moindre doute, le film le plus lumineux, le plus touchant et le plus irrésistible de l’année.

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