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Les Potagistes, de Pascal Haass

Publié le 08/10/2013 / Catégorie: Critique

Des arsouilles dans le potage

Le potager Ernotte est, à Ixelles, un îlot de verdure amoureusement entretenu par des riverains. Lorsque la commune décide de le raser afin de bâtir des logements, les “potagistes” s'opposent à ce projet qu'ils jugent inadéquat pour leur quartier. La lutte commence...

Les Potagistes, de Pascal Haass

L'apparition du numérique, puis de la vidéo, a permis au matériel de devenir plus léger mais surtout moins onéreux. Cette accessibilité accrue a vu naître de nombreux films, souvent témoins, parfois manifestes, traitant de luttes locales ou d'initiatives alternatives. Ceux-ci sont généralement aussi sympathiques sur le fond que ratés dans la forme. Il faut dire que l'enjeu est moins simple qu'il n'y paraît. Outre les traditionnelles questions éthiques (quelle place laisse-t-on à la réflexion du spectateur, par exemple), se posent d'ardus problèmes cinématographiques. Comment évoquer des concepts sans tomber dans le didactisme ou comment intéresser le spectateur avec des sujets, comme ici, aussi peu exotiques qu'un groupe d'habitants lambda tentant de préserver un bout de nature dans la grand'ville ? Le tout sans avoir recours au spectaculaire, comme la toujours efficace intervention-des-gardiens-de-l'ordre-qui-sont-un-peu-brutaux-quand-même.

Surprise, Les Potagistes réussit là où tant d'autres échouent.

À la fois cinéaste et riverain, Pascal Haass a suivi les potagistes durant un an. Proche de son sujet mais jamais envahissante, sa caméra capte plus qu'elle ne dirige. Scènes de récoltes, de fêtes, de doutes, de réunions bref, l'ordinaire des protagonistes qui, ici, étonnent : face à la communication rodée et toute en langue-de-bois des élus, à base d'appels au dialogue et d'évocations de l'ectoplasmique « win-win », les potagistes répondent avec les mêmes mots. Aux demandes de concessions, ils répondent par un projet mêlant habitat, potager et ferme pédagogique. Et la vue aérienne du site vulgairement modifié par ordinateur des élus fait pâle figure à coté du dessin propre et architecturé qu’ils mettent en place.

La grande force du film réside dans le montage, sobre, fin et équilibré. Équilibré, car les différentes scènes du quotidien, vues et revues, ne font pas office de remplissage, mais sont judicieusement réparties tels des aplats. Sobre, car Pascal Haas filme un groupe d'individus dont un noyau dur se détache, mais ne tombe pas dans la facilité de se focaliser sur un personnage truculent et qu'il fait fit des grands discours. Fin, puisque les enjeux politiques (le lien social, la préservation de l'environnement et sa place dans la ville, la convivialité, l'alimentation, l'intergénérationnalité...) sont présents, mais seulement évoqués. Pascal Haas ne s'égare pas dans son sujet : le combat d'habitants non-militants à la base, et la place du citoyen face à ses élus. Question mise en exergue lors d'une courte, mais éloquente séquence, où un ministre démarrant un discours bien huilé sur l'opposition systématique des habitants au changement (le fameux « nimby »), se voit couper par des « potagistes » enthousiastes à l'idée de participer à la modification et à la pérennisation du site, désarçonnant ainsi leur interlocuteur.

Ni victoire, ni défaite, l'important ici n'est pas le but, mais le chemin, l'opiniâtreté d'habitants engagés dans une lutte et leur utilisation des différents outils pour ce faire, le film en devenant -malgré lui ?- un. Les Potagistes mérite définitivement d'être vu, au-delà de son potager.

Actuellement à l'affiche au cinéma Aventure à Bruxelles.
http://www.lespotagistes.be/

 

Léo Dupont

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