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Les silences de Spilliaert de Léon Spilliart

Publié le 01/09/2001 / Catégorie: Critique

 

 "Toute parole est un préjugé." (F. Nietzsche)
Quelques lettres, quatre ou cinq photographies... Il reste peu de traces de ce que fut, à la charnière de deux siècles, la vie de Spilliaert, peintre torturé et solitaire que ses tableaux laissent imaginer, déambulant soir après soir, nuit après nuit, dans les décors d'une ville d'Ostende alors " reine des plages ". Car, tandis que les baigneurs joyeux s'éclaboussent sous l'oeil d'Ensor et que les nappes blanches et nettes des restaurants de luxe attendent les mondanités royales, Spilliaert, lui, se replie sur soi : " De mon enfance, je garde un souvenir ébloui, jusqu'au jour où on m'a mis à l'école. Depuis lors, on m'a volé mon âme, et plus jamais je ne l'ai retrouvée. Cette douloureuse recherche est toute l'histoire de ma peinture... "
Ouvrant les carnets de croquis sur les secrets d'un autodidacte, le réalisateur Wilbur Leguebe et son coauteur Serge Meurant trouvent d'abord Maeterlinck, dont le jeune Spilliaert, d'une main nerveuse, mit en scène les brochures davantage qu'il les illustra. Ses autres compagnons d'insomnie s'appellent alors Chateaubriand ou Lautréamont, autres âmes errantes habitées par le fantôme d'une présence invisible qui se glisse déjà, clair obscur, sur la toile du silence. Mais cette gravité excessive, très jeune, lui creuse le visage : " Vous n'avez pas trente ans et vous en paraissez vingt de plus... ", découvre-t-il bientôt, du fond de ses yeux pointus, hallucinés, dans le miroir où il s'observe avec effroi et devant lequel il se dessinera si souvent : " Je suis un mauvais interpréteur des rêves des autres. J'en ai trop moi-même. Pour moi, ils sont forcément plus intéressants et je n'aurais pas assez de dix mains pour les réaliser tous. " Pourtant, si, de Nietzsche à Freud, Spilliaert prendra ses distances par rapport à l'inspiration littéraire, dans ses autoportraits comme sur le dos des femmes intimement penchées sur les vagues, on retrouve de l'écriture les lignes claires et le trait noir qui détourent les masses denses de ses visions inquiètes - proches de celles de Munch et inspiratrices de celles de De Chirico - ,saisissant les décors quotidiens de ses troubles promenades intérieures. Eh non, Spilliaert n'était pas tout à fait seul sur les plages d'Ostende où la RTBF vous invite à retrouver aux vents - les boucles blondes électrisées par un ciel d'orage - l'air impénétrable d'un mystérieux héros qu'on eut dit tiré d'Eraserhead. Entre deux mondes...

Théo Salina

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