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Lola Montès de Max Ophüls

Publié le 05/12/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique
Résurrection d’un film maudit. 
Lola Montès de Max Ophüls
 
Ancienne courtisane déchue, Lola Montès est exhibée dans un cirque gigantesque de la Nouvelle-Orléans où un spectacle relate son existence mouvementée. Ravalée au rang d’objet luxueux / monstre de foire, la scandaleuse de l’Europe du XIXe siècle connaît l’humiliation des pistes de cirque après avoir brillé au centre des cercles enivrants du pouvoir et de l’argent. Une suite de flash-backs s’attarde sur les moments-clés de sa vie, de sa brève idylle avec Liszt en passant par sa liaison scandaleuse avec le Roi Louis de Bavière... L’occasion pour Max Ophüls, peintre par excellence de la désillusion amoureuse de nous révéler, une nouvelle fois après Madame de… ses préoccupations par le portrait de cette femme « légère » et frivole cachant son âme mais ne pouvant masquer son désarroi affectif.
Dernier film réalisé par Ophüls décédé en 1957, Lola Montès, son ultime chef-d’œuvre et, paradoxalement, son film le plus méconnu, ressort aujourd’hui sur nos écrans dans une version restaurée avec passion et grand soin par la Cinémathèque française et Laurence Braunberger (Les Films du Jeudi), en collaboration avec la Fondation Thompson, son laboratoire Technicolor de Los Angeles et le Fonds culturel franco-américain. Une restauration longue et difficile en forme de véritable casse-tête chinois, parrainée par Marcel Ophüls (le fils du réalisateur) ainsi que Martin Scorsese en personne.

Cette restauration essaie donc de nous présenter le film selon les souhaits initiaux du réalisateur, à partir des sélections monochromatiques s’approchant au mieux du premier montage de 1955 et de matériels provenant de sources diverses comme le Filmuseum de Munich, la Cinémathèque municipale du Luxembourg et la Cinémathèque Royale de Belgique. Une tâche titanesque au vu de la détérioration des images, mais qui, au final, s’avèrera payante : la nouvelle copie de Lola Montès est tout simplement prodigieuse de beauté, un peu comme si le film avait été tourné hier.
La difficulté de la tâche est due en partie aux différents supports et versions du film, disséminés de par le monde :
- le négatif original incomplet.
- la copie d'exploitation complète en scope de la Cinémathèque Royale de Belgique, en mauvais état, mais qui répertorie tous les plans.
- une copie positive de travail
- des sélections non montées... 
Lola Montès de Max Ophüls
 
Ces documents correspondent à différentes étapes de traitement du film (création des trucages, surtout des fondus au noir...). Plus les restaurateurs remontent à la source, meilleure est l'image. Mais comme tous les documents n'ont pas été retrouvés, ils sont souvent contraints d'utiliser différentes générations de documents et de « jongler » avec. Une restauration en forme de véritable lutte contre le temps, rendue plus difficile encore par la complexité de la restauration sonore : en effet, Lola Montès est un film particulier car il est mixé en scope. La pellicule comporte 4 pistes son, collées physiquement sur la copie d'exploitation, ce qui rend ce film différent de 99,99% des autres films.

Il comporte une piste gauche, une piste droite, une piste centre pour les voix, et une piste d'ambiance ou « arrière » qu'Ophüls n'a pas souhaité utiliser. Ces quelques films multicanaux mixés sur des consoles destinées au mono sont de véritables morceaux de bravoure, comme en témoigne notamment la scène de l'Opéra. L'un des nombreux enjeux de cette restauration consistait également à retrouver le format original de ce film tourné en scope. Or, la solution choisie par Ophuls était extrêmement coûteuse, car elle imposait de tirer des copies optiques, de coller de la magnétite sur les 4 pistes et d'enregistrer le son sur ces 4 pistes. Ce qui donnait des copies d'une durée de vie très courte. Pas plus de 20 films de ce format sont sortis en Europe.

Lourd échec commercial à sa sortie, descendu unanimement par la presse qui crie au scandale dès sa première projection en décembre 1955, le film comptait pourtant parmi ses plus ardents défenseurs rien moins que Jean Cocteau, Roberto Rossellini, Jacques Tati ou encore François Truffaut. Vendu comme « le récit de la femme la plus scandaleuse au monde », le film fut sifflé par un public non préparé à se prendre en pleine figure cette œuvre d’avant-garde contemplative alors qu’ils s’attendaient à un spectacle commercial gentillet, dans la lignée des sucreries acidulées de Christian-Jaque et compagnie. Tourné simultanément en trois versions différentes (française, allemande et anglaise), Lola Montès est, par ailleurs, l’unique film d’Ophüls tourné en couleurs et en Cinémascope. À l’époque, trahi par ses producteurs sentant venir le fiasco, Max Ophüls gardait de cette dernière expérience un goût amer, lui qui, dans les années 50, avait pourtant enchaîné les succès publics et critiques avec La Ronde (1950), Le Plaisir (1952) et Madame de… (1953). Désireux de transformer cette œuvre dense en un grand spectacle susceptible d’attirer le grand public, les producteurs frileux avaient réduit la durée du film et l’avaient remonté dans l’ordre chronologique. Une méthode qui n’est pas sans rappeler les tribulations de deux autres grands cinéastes se battant sans cesse contre des moulins à vent, Orson Welles et Terry Gilliam. 
Lola Montès de Max Ophüls
Si le film fût remonté une première fois en 1968 par Pierre Braunberger, cette nouvelle version (présentée pour la première fois au Festival de Cannes 2008), est bel et bien la plus complète et la plus somptueuse. Outre la prouesse technique admirable, la restauration permet d’apprécier à sa juste valeur le travail sur les couleurs, les décors, mais également des scènes inédites qui accentuent encore davantage le côté crépusculaire de cette œuvre immortelle.
Lola Montès se lit comme une dénonciation de la société du spectacle et s’avère par conséquent plus que jamais d’actualité : le calvaire de Lola, sommée de raconter les pans les plus intimes de sa vie, et qui finit dans une cage est, à ce titre, révélateur. Soulignons au passage le jeu de Martine Carol, qui contredit sa réputation d’actrice limitée et fait ici preuve d’une sensibilité incroyable, rendant son personnage plus émouvant que pathétique. Ophüls confirme sa virtuosité héritée d’Orson Welles à qui on le compare très souvent : panoramiques, travellings traduisant à merveille le sentiment de vertige qui hante l’héroïne, direction d’acteurs précise et souple, richesse de la bande-son qui semble parfois capturer les dialogues « sur le vif », baroquisme de la mise en scène, faste des décors qui participent à l’envoûtement et à la charge poétique du film, maîtrise exceptionnelle de la couleur… L’utilisation du cinémascope, un procédé qu’Ophüls s’est vu imposer, se fait pourtant avec une grande intelligence, notamment en ce qui concerne les effets en trompe-l’œil.
Lola Montès est un film-testament et l’œuvre de la maturité. Comme dans Citizen Kane, auquel le film d’Ophüls dispute, dans les listes des cinéphiles, la palme du « meilleur film au monde », la mise en scène n’est jamais gratuite ou fonctionnelle, mais se marie au contraire parfaitement avec son sujet. Un film inoubliable.
Lola Montès ressort dans nos salles dans sa version restaurée le 3 décembre.


Lola Montès de Max Ophüls – 1955 Avec Martine Carol, Peter Ustinov, Anton Walbrook, Oskar Werner et Paulette Dubost. )