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Méliès, le cinémagicien

Publié le 01/05/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Sortie DVD

Arte Vidéo a 15 ans et propose ses cadeaux, cinq DVD en édition « prestige » : La Magie Méliès de Jacques Mény, La Belle Noiseuseuse de Jacques Rivette, Paris, Texas de Wim Wenders, Gadjo Dilo de Tony Gatlif et Lady Chatterley et l’homme des bois de Pascale Ferran. « Prestige » ? Hormis une pochette chic argentée, les films sont accompagnés de bonus inédits pour la plupart offrant des lectures originales d’œuvres soutenues par Arte et la responsable de son service édition, Adrienne Fréjacques. Présentation de l’une de ces curiosités, le double DVD consacré à l’enchanteur Georges Méliès.

Méliès. Des images surgissent et se mélangent instinctivement : les débuts du cinéma, une lune avec une poussière-obus dans l’œil (Le Voyage dans la lune), des décors impossibles, des contes et légendes revisités (Barbe Bleue, Jeanne d’Arc), l’introduction de la magie et du truc, des diablotins sauteurs, des facéties en tout genre, la tête de Méliès en modèle unique, multiple, minuscule et énorme, selon les effets voulus, … Points de suspension. Méliès ne se laisse pas découvrir en cinq phrases. Par contre, avec 3h42 (la durée du double DVD consacré au magicien cinéaste), le paragraphe pourrait gagner en lignes.extrait melies

En réalité, celui qui introduisit le truc, la poésie, la facétie et le spectacle au cinéma avait déjà été approché par Arte Vidéo. En 2001, le documentaire de Jacques Mény, La Magie Méliès, retraçait la vie et la carrière de ce dernier (collection « Cinéma Muet »). Dans le même DVD, la Cinémathèque Méliès proposait Une séance Méliès à savoir quinze de ses courts métrages, réalisés entre 1898 et 1905, présentés par sa petite fille, Madeleine Malthête-Méliès. Cela faisait 3h05. Cette année, pour son anniversaire, Arte Vidéo a réédité les deux programmes en complément d’une délicatesse, un film inédit de Georges Franju, Le grand Méliès datant de 1952 (37 minutes).

Pour compléter les fameux points, le DVD est utile, par la profusion de ses sources et la pertinence de son propos. Pour situer le créateur, Jacques Mény et Georges Franju parlent abondamment de sa vie et de ses métiers, à travers différentes astuces : lieux et scènes reconstitués, extraits ou intégralité de courts métrages, documents inédits (par exemple, insertion de l’unique enregistrement de sa voix), témoignages et mises en scène de proches ou de spécialistes, …L’actualité est là, elle aussi : la Cinémathèque française consacre sa nouvelle exposition à l’inventeur du spectacle cinématographique (« Méliès, magicien du cinéma »), mais on ignore à ce stade la durée de la visite !

Se souvient-on seulement que Méliès était destiné à une carrière dans l’entreprise paternelle de chaussures de luxe pour les élégants et les élégantes de Paris ? Qu’à l’âge de 10 ans, il a commencé à fréquenter le théâtre de magie et d’illusion Robert Houdin dont il sera, par la suite, le directeur pendant 30 ans ? Qu’il fut un touche-à-tout : illusionniste, scénariste, acteur, réalisateur, producteur, dessinateur, caricaturiste, décorateur ? Qu’Antoine Lumière, le père de Louis et Auguste, louait des bureaux au-dessus de son théâtre ? Qu’il créera le premier studio consacré uniquement au cinéma ? Qu’il réalisa 503 films (en 16 ans de travail) ? Qu’il fut l’un des premiers à s’intéresser à la publicité (on ne se marie pas sans une phénoménale bouteille de champagne Mercier cartonnée quand on s’appelle Barbe Bleue !) ? Que rapidement, la couleur fera son apparition dans ses films ? Que ruiné, il sera contraint de vendre ses ateliers et studios, et de s’occuper pendant sept ans d’une boutique de jouets à la Gare Montparnasse ? Qu’un gala sera organisé en son honneur, en 1929, au regard d’une sélection de « films lyriques et fantastiques » ? En assistant à cette projection, Madeleine Malthête-Méliès, alors âgée de six ans, découvre d’ailleurs, pour la première fois, sur grand écran, la poésie imagée de son grand-père. Dans Une séance Méliès (1997), Madeleine a changé d’âge et de place : elle n’est plus spectatrice, elle présente une sélection de quinze courts métrages de son aïeul, dans les conditions de l’époque. Elle remplace le bonimenteur des débuts, en accompagnant les films et en situant l’action, tandis qu’un projectionniste et un pianiste s’appliquent au bon déroulement de la séance. Une séance qui compte des courts métrages ingénieux tant dans leurs histoires que leurs procédés. L’homme-orchestre, L’homme à la tête en caoutchouc, Le mélomane, Le cake-walk infernal, Le roi du maquillage, Affiches en goguette et Le locataire diabolique offrent autant de sketches et de saynètes originales et fantastiques imaginées de bout en bout par Méliès.extrait mélies

Deux anecdotes ne peuvent disparaître dans un chapeau de la Belle Epoque. Le 28 décembre 1895, Antoine Lumière invite Georges Méliès à assister à la première projection publique de dix vues animées réalisées par ses fils, notamment par Louis, au Grand Café. Il lui aurait tenu les propos suivants : « Dites donc, Monsieur Méliès, vous qui avez l’habitude dans vos trucs d’étonner quelque peu votre public, je serais bien heureux de vous faire venir ce soir. Vous allez voir quelque chose qui peut-être vous épatera vous-même. » Méliès se rend au rendez-vous et s’emporte en découvrant une projection de photographies immobiles. Il réagit : « On me dérange pour ça ? Cela n’a rien d’extraordinaire : ça fait 20 ans que j’en projette [plaques animées et lanternes magiques] à la fin de mes spectacles ! »

Vient ensuite, en 1896, une découverte insolite qui bouleversera son travail : l’arrêt de caméra ou arrêt pour substitution. Alors qu’il filme Place de l’Opéra, sa caméra, loin d’être sophistiquée, se bloque. Le temps qu’il la répare, les personnages du plan ont naturellement bougé, mais il se remet à filmer. Lorsqu’il projette la bande, il se rend compte qu’un omnibus s’est mué en corbillard et un homme a cédé la place à une femme. En peu de temps, sans moyens et par hasard, un effet spécial a eu lieu. L’accident deviendra un procédé : pour ses tournages postérieurs, Méliès arrêtera la caméra volontairement pour remplacer les personnages et les décors avant de recommencer à filmer et de raccorder les plans. D’autres trucs suivront : le trompe-l'œil, la pyrotechnie, le collage, la surimpression, les fondus enchaînés, les effets de montage et de couleurs sur pellicule. Sans oublier la si chère prestidigitation.Tout à coup, l’image se met en mouvement : les ouvriers de l’usine Lumière s’avancent vers les spectateurs. Méliès est médusé : il réclame cette invention pour son théâtre. Antoine Lumière refuse pour des raisons commerciales. Méliès s’accroche à son désir et se procure des appareils de projection. La représentation du réel ne l’intéresse pas beaucoup. Entrée de la fantaisie et du fabuleux ! 

extrait meliesEnfin, vient Le grand Méliès, le film hommage d’un Georges à l’autre. Franju a réalisé, en 1952, cet intéressant documentaire en l’honneur du « novateur des trucages cinématographiques ». Le film a son importance : inédit, il resitue, lui aussi, la vie et l’art de Méliès, mais avec d’autres trucs fictionnels. Un ancien collaborateur de Méliès et des membres de sa famille sont mis à contribution. Son épouse, ancienne comédienne de ses films, et son fils, interprétant le rôle de son père, apparaissent à l’écran tandis que sa petite fille fait office de voix-off. Des lieux historiques sont reconstitués en studio tels que le théâtre Robert-Houdin, la devanture du Grand Café, ou encore la boutique de jouets de la gare Montparnasse.

Une très jolie scène figure dans le scénario. Alors qu’il a été contraint de se retirer de toute activité cinématographique, Georges, campé par son fils André, offre à des enfants des bonbons et un tour de magie : il fait apparaître un bouquet de fleurs et le dispose devant son visage. Celui-ci disparaît : place à un homme-fleur. Les réflexes sont ce qu’ils sont.

Méliès, le cinémagicien. Double DVD : La Magie Méliès (Jacques Mény), Une séance Méliès et Le Grand Méliès (Georges Franju). Collection Arte Vidéo. Distribution en Belgique : Twin Pics.

Lire aussi l’interview d'Adrienne Fréjacques, responsable du service édition d’Arte.

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