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Mian/Visages de Paul Vincent de Lestrade

Publié le 02/09/2020 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Dans le cadre annuel d’échanges entre les étudiants de l’Insas à Bruxelles et les étudiants en cinéma à Pékin, Paul Vincent de Lestrade a réalisé son film Visages (Mian/Visages) qui aborde la question de la beauté normative dans une société qui la hisse comme un critère capital de réussite. Il n’y a pas, dès lors, d’autres moyens que de remodeler un corps qui puisse s’accorder aux désirs de la foule des regards.

Les visages esseulés, perdus au milieu de la foule, semblent regarder par inadvertance la caméra grâce aux multiples reflets qu’offre la ville. Ces mêmes visages se laissent guider par la voix off poétique et réflexive : «  Belle ne suffit plus, je me sens comme un fantôme… comme une ombre dans leur regard ». Soudain, nous quittons l'intranquillité et l’impermanence de la ville et ses multiples visages. Ce premier prélude poétique enracine le film dans une réflexion profonde sur la question du visage et de la beauté en Chine et, bien qu’il s’agisse d’un sujet a priori éculé, le réalisateur parvient néanmoins à lui donner toute sa puissance. De fait, la série d’interviews face-caméra n’a jamais pris autant de sens, puisque le visage, en gros plan, s’épanouit et s’offre à la contemplation du spectateur sous toutes ses coutures. Car si dans l’espace public ces femmes témoignent d’une honte, c’est dans l’espace filmique qu’il est réinvesti comme une fierté dans lequel il peut s’exposer. Envisagé comme des portraits qui s’entrecroisent autour d’une réflexion sur le regard des autres à l’aide de visages découpés par le cadre, les femmes se dévoilent et nous racontent leur peur de vieillir, de prendre du poids, d’avoir les yeux trop petits et fermés, des pommettes trop saillantes, des injonctions à la beauté toujours plus occidentales, à l’image de cette photographie post opératoire représentant une femme dépourvue de traits asiatiques. Finalement, bien que certaines décident de changer de visages, elles ne veulent plus se taire, elle ne veulent plus que la foule les traverse comme des fantômes, mais soutenir le visage et le regard sur un infini dont elles ignorent presque tout, faire vaciller leur liberté sans l’anéantir. Le film de Paul Vincent de Lestrade explore l’énigme de la singularité de chacun et propose un regard critique sur les canons normatifs de beauté. Mian/Visages est donc une réflexion philosophique et une lettre cinématographique, un portrait croisé de femmes contemporaines où le réalisateur parvient à traiter la question de la performance au quotidien et déconstruit les mécanismes qui produisent ces effets. Un film qui s’intéresse à la fissure, à l’écart entre soi et soi, entre notre perception de nous-mêmes et celle que les autres posent sur nous.

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