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Mr K de Tallulah Hazekamp Schwab, 2024

Publié le 10/02/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Panique à l’hôtel 

À la veille de son prochain spectacle, Monsieur K (Crispin Glover), un magicien en tournée, arrive dans un étrange et immense hôtel pour y passer la nuit. Mais le lendemain, il se rend compte qu’il ne parvient plus à trouver la sortie. Ce qui suit est un cauchemar existentiel et kafkaïen, où notre « héros » tente d’échapper à un labyrinthe sans fin de couloirs, de chambres et de portes. En chemin, il rencontre les étranges locataires des lieux (parmi eux un Sam Louwyck quasi muet). Certains paraissent vivre là depuis une éternité et ils entraînent Monsieur K dans l’absurdité de leur existence. Bientôt, ils voient en lui un potentiel « libérateur », celui qui, par sa différence et son refus de suivre les règles, pourrait enfin les sortir de leur absurde prison. Or, le temps leur est compté : K comprend en effet que l’hôtel rétrécit chaque jour un peu plus, menaçant ainsi de broyer ses occupants…

Présenté au festival d’Oostende, le film sort en salles le 2 avril 2025

Mr K de Tallulah Hazekamp Schwab, 2024<br />

Pur exercice de style piochant divers éléments dans l’univers littéraire de Franz Kafka - atmosphère surréaliste cauchemardesque, individu esseulé et complètement déraciné -, le second film de fiction de Tallulah Hazekamp Schwab (son premier, Dorsvloer vol Confetti, date de 2014), une co-production Pays-Bas / Belgique / Norvège, ne peut éviter la comparaison écrasante avec les œuvres d’un autre iconoclaste ayant brillamment transposé à l’écran les névroses de l’écrivain austro-hongrois, Terry Gilliam. On pense immanquablement à Brazil (pour ses thématiques, mais aussi pour son décor, enchevêtrement interminable de tuyaux menaçants), mais aussi à L’Armée des 12 Singes (pour sa capacité à rendre une foule de personnages a priori innocents très menaçante - chaque chambre exiguë est habitée par des dizaines d’hurluberlus, et une fanfare sort des murs toutes les nuits pour hanter K avec sa musique tonitruante…).

Si les seconds rôles relèvent de l’archétype (une réceptionniste odieuse, une dame obèse et nymphomane), si certains figurants sont mal dirigés et si le montage pèche par son manque d’énergie, on s’en consolera grâce à la présence du fascinant Crispin Glover dans le rôle-titre. L’acteur américain, principalement connu du grand public pour avoir incarné ce grand dadais de George McFly dans Retour vers le Futur, s’est depuis distingué dans bon nombre de projets hors norme, dans lesquels il a pu laisser libre cours à sa folie et ses improvisations, criant parfois ses répliques sans prévenir. Les cinéastes font appel à Crispin Glover quand ils trouvent Nicolas Cage trop dans la retenue… Or, cette fois, l’acteur reste dans le registre de la sobriété, son personnage, décrit comme médiocre et sans profondeur, sans motivation ni émotion particulières, représente le point de vue de l’homme normal et passif, pas encore perverti par la folie contagieuse qui imprègne l’hôtel, mais pas héroïque pour autant. 

Le scénario ne réservant que peu de surprises aux spectateurs connaissant les conventions kafkaïennes, c’est surtout le travail remarquable et très ambitieux effectué sur les décors que l’on retiendra. Les murs de l’hôtel sont habités par des créatures invisibles, et derrière le papier peint verdâtre qui s’effrite, on trouve des amas de chairs et de boyaux tordus qui semblent indiquer que le bâtiment est une entité vivante. Quant au climax, lorsque K. s’aventure dans une sorte de terrier organique caché derrière un mur et décide d’aller voir ce qui se passe « au-delà de l’univers », il nous réserve une belle surprise en matière de creature design…

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