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On a le temps pour nous de Kathy Lena Ndiaye

Publié le 16/09/2020 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Après un long moment passé à filmer la francophonie mondiale au CIRTEF, Kathy Lena Ndiaye retourne au cinéma documentaire en s’intéressant à Smokey (Serge Bambara), un rappeur et leader d’opinion burkinabé. Et si l’affection artistique de la réalisatrice pour ce manieur de mots moderne ne fait jamais défaut, ce sont surtout les combats qui le lient aux soulèvements populaires contre le gouvernement de Blaise Compaoré qui trustent le récit.

On a le temps pour nous de Kathy Lena Ndiaye

Fin 2014, Ouagadougou se rassemble pour mieux exploser. Les habitants marchent vers le parlement. Ils ne veulent plus de leur président aux méthodes fallacieuses. L’armée recule et, comme dans un rêve, le peuple destitue pacifiquement le dictateur. Smokey, a force de textes tranchants et de tournées nationales, est devenu l’un des instigateurs de ce mouvement insurrectionnel. Il y avait l’engagement égalitaire du blues et du jazz américain, sexuel du rock à travers le monde, libertaire du punk anglais ou social du hip-hop des ghettos qui n’oublieront jamais leurs origines... Il y a celui spontané du rap burkinabé.

A travers Serge Bambara, Kathy Lena Ndiaye met en exergue l’importance des mots et de la rhétorique dans tout soulèvement populaire. Les mouvements moraux, quels qu'ils soient, nécessitent une étincelle et de nombreux récits, fictifs ou réels, et usent de l’art et du lyrisme politique des mots pour signifier ce point de départ. C’est précisément le propos, amené au Burkina Faso, que développe la réalisatrice. Un sujet d’emblée complexe et fascinant qui pourrait inspirer de nombreuses grandes œuvres. L’Histoire illustre d’elle-même la tragédie à travers un putsch qui verra Compaoré devenir président, au lieu de Thomas Sankara, sauvagement assassiné. Une trahison qui viendra couvrir de cendres dictatoriales les premières lueurs burkinabés, jusque-là portées par l’espoir révolutionnaire de Sankara.

C’est donc, par ce raccourci précis, choisi et contrôlé, que l’auteure propose l’idée concrète que l’art, parfois, mène au changement. Au fond, les approches de Serge Bambara et de Kathy Lena Ndiaye se ressemblent sur ce point. L’un attise, l’autre témoigne mais ils semblent chercher, dans un geste commun, à se soustraire à leurs propos. Leurs paroles respectives, musicale ou cinématographique, ne sonnent jamais comme des pensums mais poussent à la réflexion, à l’approche critique sans jamais omettre la singulière importance des émotions telles que l'Insatisfaction, la colère, lenvie ou la joie suprême... de celles qui prennent aux tripes, amènent aux révoltes.

La caméra d’Ndiaye colle aux basques du rappeur, souvent en gros plan. Si la forme documentaire classique, mais maîtrisée, ne semble jamais vouloir impressionner, ce sont les images d’archive du peuple burkinabé, rendant à la rue éventrée son plus beau chaos, qui émeuvent.

On a mis le feu à l’assemblée, scandent-ils quand la caméra numérique portée donne un contour informe aux flammes. Alors ressort de ces nuages de fumée noire une vision fantasmagorique exaltant une victoire populaire établie par une rage des plus essentielles.

Ce sont ces images sonores qui illustrent les tribunes du rappeur; celles du désarroi de ceux qui cherchent encore à espérer et puis celles de la clameur des corps qui manifestent et du verre brisé. Ces utilisations du montage parallèle, de fondus sonores et de suivis rapprochés appuient le discours filmique avec l’intelligence de la discrétion et font ressentir l’urgence de tout un peuple.

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