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Où est Anne Frank d'Ari Folman

Publié le 01/12/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé

 

Comment raconter l'histoire d'Anne Frank aujourd'hui? Comment, alors que le journal de cette jeune juive assassinée dans les camps de la mort nazis est devenu l'un des ouvrages les plus lus au monde, apporter quelque chose de plus à un récit déjà si puissamment ancré dans la conscience collective ?

Où est Anne Frank d'Ari Folman

C'est le pari osé d'Ari Folman, qui choisit - comment pouvait-il en être autrement d'ailleurs ? - l'animation pour se réapproprier cette histoire, tout en lui donnant une résonance plus contemporaine.

En prenant le récit du point de vue de Kitty, l'amie imaginaire créée par Anne pour dialoguer avec son journal, le réalisateur construit son scénario sur la recherche de mémoire et sur le dialogue entre passé et présent. Une mécanique quelque peu éculée, mais qui a le mérite d'amener une teinte de magie dans le film, et le rendre on l'espère plus abordable au grand public, et aux jeunes spectateurs à qui il semble en partie destiné.

À travers de ces va-et-vient entre passé et présent d'une Amsterdam où le souvenir de la petite Anne Frank est aujourd'hui omniprésent, Folman met en images sa lecture personnelle du journal, nourrie par ses propres ressentis et par l'imagination de la jeune fille. Là où le film dépasse son côté didactique, c'est par l'onirisme qu'introduit sa forme dans le propos et dans les thèmes abordés. En se nourrissant des mythologies anciennes et contemporaines qu'Anne utilisait comme échappatoires, le cinéaste donne une imagerie nouvelle au récit. Une recherche esthétique qui donne lieu à des envolées visuelles tantôt sublimes, tantôt dantesques, comme à des espiègleries qui adoucissent le discours sans pour autant alléger le sujet.

Dans son propos, Où est Anne Frank ose - et peut-être avec raison - les parallèles entre notre monde contemporain et celui de la jeune juive. Alors que les bottes nazies faisaient trembler les murs de la cachette des Frank, ce sont les sirènes de la police néerlandaise qui terrorisent aujourd'hui réfugiés et migrants. Un constat amer que Kitty, héraut du passé à cheval entre les deux univers, constate avec amertume. Si, comme l'affirme haut et fort la protagoniste, le message du précieux journal a aujourd'hui été oublié, il ne fait en tout cas aucun doute que le film le martèle sans trop s'embarrasser de subtilités. De là à en être indigeste, la frontière est ténue. Mais que les spectateurs rebutés par cette tirade mémorielle n'oublient pas l'importance d'un constant rappel de ces thèmes qui, malgré leur proximité, semble déjà s'étioler dans les méandres de l'Histoire pour certaines mouvances politiques radicales.

Si d'un point de vue formel, on sent un Ari Folman assagi et moins acide qu'aux heures de Valse avec Bachir, on soulignera quand même le travail d'animation mis en œuvre par les équipes des studios belges Walking the Dog sur les personnages et les univers fantasmatiques de l'œuvre. Des images qui peuvent être douces comme terribles, et où parfois les moments les plus durs se cachent dans la banalité de l'indifférence.

En fin de compte, Où est Anne Frank pêche peut-être par le manque de subtilité de son propos et un scénario par trop ténu. Mais les métaphores visuelles de cette lettre ouverte d’un cinéaste à l’Histoire laisse néanmoins des images gravées dans l’esprit, évocations d’un passé qui hante toujours l’Histoire de l’humanité.

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