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Palimpsest of the Africa Museum, un documentaire de Matthias De Groof

Publié le 16/10/2019 par Adèle Cohen / Catégorie: Critique

Repenser pour panser 

Si le titre peut peut-être faire peur, il ne faut pourtant pas hésiter une seconde à s’aventurer dans la proposition passionnante du dernier film de Matthias De Groof, Palimpsest of the Africa Museum. Ce long-métrage documentaire qui se concentre sur la récente rénovation du Musée royal de l'Afrique centrale (devenu AfricaMuseum) aborde, sans manichéisme, la complexité d’une telle entreprise. Les animaux sauvages empaillés, les masques traditionnels, les objets usuels et de culte, les minéraux extirpés du sol doivent trouver une autre place dans le nouveau musée. Mais qui les regarde ? Et qui doit prendre la parole pour raconter leur histoire ?

Commençons par le commencement. Un palimpseste est, au sens propre, un manuscrit sur parchemin que les copistes du Moyen Âge ont effacé pour le recouvrir d'un texte nouveau. Dans ce sens premier, le titre du film de Matthias De Groof est parfaitement adéquat puisqu’il s’agit bien, pour le musée de Tervuren, de tenter, avec le même support (un bâtiment au lieu d’une page) de réécrire une nouvelle histoire (avec les mêmes objets et non plus avec les lettres de l’alphabet). Par analogie, le palimpseste est également un mécanisme psychologique tel que les faits nouvellement mémorisés se substituent à ceux qui leur préexistaient dans la mémoire. En ce sens également, le titre prend tout son sens car d’une part, le temps a passé, engloutissant parfois souvenirs et documents mais le musée doit aussi s’inscrire au présent, dans une époque où il est demandé d’assumer la violence et la domination.
 

Sur la musique totalement envoûtante de Ernst Reijseger, violoncelliste de génie et compositeur attitré de Werner Herzog, le cinéaste propose un aller-retour entre le démantèlement concret du musée par les ouvriers et les discussions passionnées menées par ceux que l’on appelle “le G 6”. En effet, c’est en  2014, dès le début de la rénovation, que le musée décide de créer un groupe d’experts issus de la diaspora afin qu’ils puissent suivre cette rénovation de près et au quotidien. Six représentants venus en majorité du monde de l’art ou de l’université vont devoir débattre régulièrement avec chaque département tenu de les consulter pour tous les choix importants. 

Le film s’attarde à la table du G6, offrant ainsi particulièrement la parole à  Gratia Pungu, sociologue féministe qui n’a pas sa langue dans la poche, et Toma Muteba Luntumbue, artiste et commissaire d’exposition de bout en bout passionnant à écouter dans ses interrogations philosophiques. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici, poser des questions pertinentes, confronter présent et passé et se demander qui peut raconter la colonisation… La voix officielle de la Belgique ? La science ? L’historien ? Tout restituer, n’est-ce pas effacer un passé qui a furieusement impacté les deux pays et se passer d’un devoir de mémoire ? N’est-il pas temps de quitter le discours de domination pour aller vers celui de l’interculturalité. 

Quant aux œuvres montrées ici, Mathias De Groof les filme comme des êtres vivants, malades, sur des chariots, en route vers ce que l’on imagine être un bloc opératoire, voire la morgue. Et c’est bien ici que tout se joue et que le cinéaste fait preuve d'une intelligence inouïe de la mise en scène. Mathias De Groof opère un double mouvement : l’humanisation des objets qui, progressivement, devient dominante, accentue la déshumanisation et la réification des humains que les colons ont voulu opérer. Une sorte de vengeance des objets s’opère alors, sans violence cette fois, juste dans la revendication de leur beauté, de leur pouvoir et de leur statut d’êtres à part entière. 

Pour lier le tout et nous accompagner dans cette déambulation, l’auteur Jean Bofane nous raconte une histoire en forme de conte africain où le musée est décrit comme un boa glouton. 

Un film nécessaire qui aborde avec grande intelligence des questions complexes et essentielles, qui ne cherche jamais à donner des réponses simplistes mais ouvre des champs de réflexions immenses.

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