Portrait d'André Goldberg
Nous avons quitté notre écran d'ordinateur un peu rachitique et avons péripatétiquement réfléchi au sujet en arpentant nos locaux. La photographie et le cinéma. C'est un vieux couple qui a fait les quatre cents coups ensemble. Deux repères nous viennent à l'esprit :
1. à la fin de l'avant-dernier siècle, après les expériences d'E. Muybridge qui découpe en séquences le galop d'un cheval, mais pas seulement d'un cheval, E.-J. Marey invente la chronophotographie (10 images par seconde).
2. Avec Retour à la raison, sans remonter au XIXe siècle, ce sacripant de Man Ray (nous préférons ses nus féminins) réalise l'un des premiers films expérimentaux.
Plus près de nous, une flopée de gens pratiquent les deux genres avec bonheur : Agnès Varda, Robert Frank, William Klein jouent sur les deux tableaux ou avec les deux cadres, pour être précis, comme Raymond Depardon, Johan Van der Keuken ou David Bailey (référence d'André Goldberg). Bailey qui a réalisé des films sur Andy Warhol et Visconti.
Driiiinnng, André Goldberg justement, qui a remporté en novembre dernier le prix du meilleur documentaire au Festival du Film Indépendant de Bruxelles de 2002, s'annonce. Il est l'invité d'un de nos Gros Plans.
"Les premiers films que mes parents m'ont emmené voir devaient être les films de Walt Disney au cinéma Ambassadeur. À l'époque, je pense qu'on allait voir tous les dessins animés Disney . Le premier film de cinéma que j'ai vu, c'était devant l'écran de la télévision. Ça devait être des trucs grand public... J'ai vécu avec mes grands-parents qui regardaient la télé mainstream".
Pendant l'adolescence, André Goldberg découvre avec son père ainsi qu'avec des copains un autre cinéma. Mais s'il avoue avoir de l'intérêt pour le cinéma, .la musique le passionne bien davantage. Son rêve était de monter un groupe de rock avec des copains. Ce qu'il fait " sans devenir une rock star !", précise-t-il avec humour. A l'époque, ses influences sont Deep Purple, Led Zepplin, Black Sabbath, ...le rock dur ! "Je me suis dit qu'il était ridicule de chanter en anglais, étant donné que j'étais francophone ; d'autant plus que mon anglais n'était pas bon à l'époque." Ses rêves se révélant irréalisables, il se dit que la musique resterait un plaisir mais pas une profession. D'où, pour satisfaire son esprit créatif, qu'il entreprenne des études d'architecture à l'Institut Victor Horta, qu'il abandonne pour se consacrer à la photo.
"Je n'avais plus envie de faire des études. L'idée de faire du cinéma m'étais alors passée par l'esprit mais j'étais trop tard pour les examens d'entrée, je devais attendre un an. J'ai commencé alors des cours du soir de photo tout en travaillant la journée."
D'abord assistant de photo, en mode et en publicité, il commence un travail personnel au début des années 90 : une série de portraits d'artistes plasticiens, qui sont exposés à l'Atelier Sainte-Anne et publiés en 1994 dans un ouvrage intitulé Portrait fétiche, aux éditions de la Lettre volée (1). "Lorsque j'ai fait cette série d'une quarantaine de portraits d'artistes plasticiens. J'ai fait un film sur chacun d'eux plus tard. Je faisais les photos de chacun en studio. J'ai demandé à chacun de me donner son objet fétiche que j'ai photographié en chambre technique. Il y avait une double page pour chaque artiste avec son objet fétiche et son portrait ainsi qu'une anecdote sur la rencontre. Un an après, paraît un autre livre aux même éditions : des portraits et témoignages de rescapés de camp de concentration, que j'ai faits avec ma compagne Dominique Rozenberg, qui est sociologue et qui a recueilli les témoignages. Il y avait trente-sept portraits. C'était à l'occasion du cinquantenaire de la Libération des camps, en coédition avec la fondation Auschwitz. J'ai exposé ce travail un peu partout en Belgique, notamment au Musée de la photographie à Anvers, durant l'été 95.
Depuis un certain temps, j'avais des envies de film, mais je ne savais pas comment les concrétiser. J'ai rencontré Paul Trajman, un peintre dans la lignée de Dotremont." L'ayant vu travailler dans son atelier, André lui propose de le filmer en train de réaliser une oeuvre. Il déniche un producteur : Arizona production, qui accepte le projet. "Le film a été tourné en Super 8 noir et blanc, avec trois caméras en simultané. Il dure six minutes alors que l'oeuvre avait été réalisée plus ou moins en deux minutes. Mais on a triché, on a fait des contrechamps ... Le montage est très vif.
J'ai enchaîné avec Jean-François Octave, un artiste que je connaissais bien, on avait un contact. J'ai commencé à écrire un scénario de film. Je l'ai fait en 16 mm, en reversal. (C'était en 98, il n'y avait plus que la RTBF qui utilisait de l'inversible !). Et, coup de chance, il a été sélectionné au Festival du film sur l'art de Montréal en mars 99.
Début 99, j'ai commencé à imaginer des images sur le travail de Pascal Bernier, que je connais aussi depuis plus de dix ans.
Il venait d'être sélectionné par le magazine Beaux-arts à Paris pour participer à une exposition de groupe au Salon de l'agriculture. Il faisait notamment un travail sur les animaux empaillés. J'ai emprunté une caméra 16 mm à un copain et je suis parti une journée avec lui. J'ai commencé à filmer. J'en ai parlé à un producteur, qui a finalement produit le film. Puis j'ai continué à écrire. On a mis longtemps à trouver des fonds, car la Communauté française n'était pas du tout intéressée. Anne Islaire (RTBF) voulait faire le film car elle connaissait bien le travail de Pascal Bernier mais elle ne pouvait pas à cause de raisons de politique interne à la RTBF. Le CBA a accepté et finalement la RTBF aussi. On a donc eu très peu de budget, mais assez pour ce film, qu'on a tourné à l'automne 2000 en 16 mm, avec quelques passages en vidéo."
André Godberg nous précise avoir la saine habitude de travailler sur plusieurs sujets à la fois, de lancer plusieurs pistes : "Il y en a toujours une qui avance plus vite que les autres. Je n'ai plus vraiment l'envie de faire des films sur les plasticiens. Je ne suis pas historien d'art. Je ne fais pas vraiment un documentaire. Je raconte une histoire, mais elle peut être fausse. Je demande à l'artiste d'y participer. Ce n'est pas un reportage, c'est un essai.
Pour le moment j'ai en projet un court-métrage de fiction qui se passe dans le milieu de la boxe, que j'ai envoyé à diverses maisons de production. La boxe m'intéresse pour son côté chorégraphique et aussi parce qu'il y a quelques années j'avais été dans un club qui était installé dans la cave d'une école communale et j'ai commencé à prendre des photos. Je me suis inspiré de ce moment-là pour faire une histoire. Ce n'est pas vraiment un film sur la boxe, mais un film qui se passe dans un club de boxe et qui concerne la relation entre le responsable de la salle et certains des jeunes boxeurs.
C'est en voyant les films de John Cassavetes que j'ai compris que je pouvais faire du cinéma car le réalisateur de Shadows était lui aussi est un d'autodidacte. J'aime sa personnalité, son cinéma proche du vécu de ses personnages, ses films en général. C'est un de mes cinéastes de référence."
(1) Editeur qui publie les artistes plasticiens les plus en vue du moment et également, tout récemment, en collaboration avec la Communauté française, trois superbes petits albums : Ardenne Restante de Daniel Machiels, Seraing ou ailleurs de Philippe Herbert et Aurore floréale de Marcel Ots