Cinergie.be

Pourquoi encore penser? A l’heure de l’intelligence artificielle, Luc Jabon

Publié le 23/05/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Intrigué par la place que se fraie l’intelligence artificielle dans nos sociétés contemporaines, Luc Jabon procède à une recherche organisée sur les modes de fonctionnement de l’IA, ses utilisations, sa pertinence et son devenir. On (re)découvre avec lui l’omniprésence de l’IA, notamment dans les champs d’études technologiques, médicales, sociologiques ; elle s’insère même là où l’attendrait moins, à savoir dans les domaines éducatifs et artistiques. Ce film permet alors la rencontre de différents points de vue, étayés par des personnes partageant des préoccupations communes, notamment le fonctionnement de la pensée humaine et sa légitimité face à des innovations technologiques ininterrompues, qui semblent n’avoir aucune limite.  

Pourquoi encore penser? A l’heure de l’intelligence artificielle, Luc Jabon

La démarche de Luc Jabon s’inscrit dans une logique enquêtrice, délimitée par un itinéraire réflexif et géographique. Tout au long de son parcours, il rencontre une variété très intéressante de spécialistes des questions de l’IA, parmi lesquels des chercheurs et chercheuses en sciences politiques, en sciences cognitives, des chirurgiens, des psychanalystes, des philosophes et des artistes. Toutes et tous ont un élément de réponse à apporter à cette question centrale : quel sens donner à l’exercice de la pensée humaine dans une société qui pourrait la supplanter par l’intelligence artificielle ?

Contre toute attente, les premiers à répondre sont des enfants, questionnés par une animatrice spécialiste de philosophie pratique sur la manière dont ils perçoivent leur propre mode de pensée, ou sur l’identification de leur conscience personnelle. Il s’agit bien ici d’objectiver des notions, de chercher à décrire des mécanismes ou des sensations, à organiser des éléments pour donner du sens. On découvre par la suite que les adultes qui cherchent à comprendre le fonctionnement de l’intelligence humaine sont confronté.es aux mêmes interrogations, guidé.es par une volonté de matérialiser l’activité cérébrale humaine. C’est enfin pour élucider ce type de grands mystères que l’intelligence artificielle peut intervenir.

Ce que l’on comprend par ailleurs, c’est que l’intelligence artificielle peut prendre une grande diversité des formes, appliquée à une infinité d’objets ; c’est donc pour cette raison qu’elle est complexe, problématique, voire inquiétante, alors même que l’être humain l’a lui-même pensée et conçue. Précisément, reste la question de ce que l’homme peut encore produire, que la machine ne saurait faire. De nos jours, une personne munie d’un système d’intelligence artificielle peut créer et interpréter une symphonie pour orchestre, ou apprendre les intonations précises de n’importe quelle langue étrangère. Toutefois, « l’expérience de la conscience intérieure[1] » reste un produit unique et indivisible de la biologie humaine. La machine n’a quant à elle aucune conscience, alors même qu’elle peut être animée d’intentions programmées. De fait, elle ne pourrait parvenir à exploiter sa propre sensibilité, à la manière d’un artiste, ou à bouleverser notre perception du monde.   

À partir d’une question simple, Luc Jabon établit un raisonnement qui nécessite d’adopter différents regards sur l’intelligence en tant que telle, et sur son mode opératoire. Divisible en de multiples acceptions, elle est aujourd’hui au cœur des préoccupations d’une société hautement technologique, qui ne pense avoir cerné qu’une maigre partie d’une réalité biologique mise au défi. La réalité devient complexe dès lors qu’on ne parvient pas à la représenter précisément et strictement, et que l’on en tire une certaine angoisse. Mais est-il indispensable de répondre à tout ?  


[1] Jean-Noël Missa, médecin, philosophe. 

Tout à propos de: