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Que l'Amour de Laetitia Mikles

Publié le 16/10/2019 par Adèle Cohen / Catégorie: Critique

Abdel, jeune Algérien, vit à Hendaye. Entre son boulot dans une société de location de voitures, les entraînements de foot et sa vie de famille, Abdel n’a qu’une seule idée : pouvoir monter sur scène et interpréter les chansons de Jacques Brel. Sur le papier,  Que l’amour, le dernier documentaire de la cinéaste française Laetitia Mikles fait naître beaucoup de méfiance. Sur l’écran, c’est un petit miracle immédiat et qui va tenir tout au long de ses 80 minutes. Un film atypique qui force l’admiration.

Un jour, alors que rien ne l’y destinait, Abdel tombe sur les chansons de Jacques Brel sur Internet. Cette découverte va changer sa vie ou plutôt devenir sa vie… car rien pour le jeune homme ne sera plus jamais comme avant. “Rien ne sera plus jamais comme avant”, ce pourrait être le titre d’une chanson joliment surannée ou le titre du film de Laetitia Mikles… mais la cinéaste a choisi la référence directe (un peu amputée) au chanteur belge en appelant son film Que l’amour. Et c’est bien une histoire d’amour que la cinéaste filme avec grâce et gravité, irrationnelle comme seules peuvent l’être les histoires d’amour. Car comment comprendre qu’un jeune homme de 28 ans, né en Algérie,  qui a trempé dans des petits trafics endosse un jour un costume marine, gomine ses cheveux, s’empare d’un micro et reproduise, à l’identique, les intonations, les gestes et l’énergie d’une chanteur belge mort il y a plus de 40 ans. Une seule raison dans tout cela, qui s’illustre parfaitement dans la célèbre formule  de Montaigne “parce que c’était moi, parce que c’était lui”. 

Dès les premières minutes du film qui suivent Abdel de son boulot alimentaire à une petite salle des fêtes où il donne un concert, le spectateur est pris au piège... Si de prime abord, une imitation peut sembler un exercice relativement ringard et parfaitement inutile, la performance d’Abdel, elle, possède une puissance inexplicable qui impressionne et qui, par on ne sait quel miracle, le dévoile totalement au lieu de l’effacer. Brel devient alors - au sens photographique du terme - un véritable révélateur qui rend le jeune homme visible et terriblement vivant. Abandonnant tout cran de sûreté, Abdel se livre en chantant à une spontanéité émotionnelle désarmante. 

Le portrait que donne à voir Laetitia Mikles est à l’image du garçon. Son film est habité par une sincérité qui laisse apparaître leur lien de complicité et d’affection. Entre réalisme sociétal et conte initiatique, Que l’amour se tient en équilibre, entre désespoir et émerveillement. La scène où, devant un miroir, Abdel change de vêtements, passant d’un style à l’autre pour finir par se déguiser avec des costumes de théâtre montre la complexité du personnage, la quête obstinée d’une apparence qui convient, mais surtout peut-être que le déguisement au lieu de masquer est ce qui lui permet d’exister pleinement. 

Mais voilà, dans le monde tel qu’il est là, le déguisement est trop souvent un uniforme qu’il faudra endosser de force pour pouvoir non pas vivre, mais subsister. Et quand on a que l’amour, parfois, ce n’est pas assez…. 

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