Queerying nature, un film d’Aline Magrez

Accompagné par quelques personnes qui réfléchissent ses questions dans leurs vies, leurs arts, leurs travaux, Queerying nature sinue dans la complexité du vivant. Avec les artistes Camille Pierre et Gwenn Seemel, il envisage cette question du genre à partir du point de vue intime de personnes qui ont lutté pour déconstruire les genres auxquels elles avaient été assignées pour se réaliser. Avec la philosophe Vinciane Despret ou encore les biologistes Joan Roughgarden et Thierry Lodé, c’est du point de vue scientifique que cette notion est déconstruite pour en saisir toute la portée politique. Au fil de thèmes qui scande sa narration grâce à des chapitrages, le film creuse ces notions de reproduction, de sexualité, de genre dans le monde animal et par ricochet les sociétés humaines pour mieux les différencier, les affiner et les complexifier au fur et à mesure de sa trajectoire. Dans un musée où les animaux sont empaillés (nature classée et ordonnée, morte et triste à pleurer), il commence par dépoussiérer la biologie puis s’aventure un peu plus loin dans un zoo, part avec certains intervenants respirer le grand air. Jonglant entre les témoignages et les entretiens, il s’évade régulièrement dans de belles séquences d’animations épurées qui prolongent en quelques traits les propos des intervenants et racontent la grande richesse du monde animal où mouflons, lionnes, lézards, hyènes, saumons s’en fichent pas mal du masculin et du féminin ou de tout autre instinct de reproduction qui commanderaient leur comportement sexuel. 

Malgré ses chapitrages, ses musiques ou ses séances animées qui donnent sa fantaisie au documentaire, Queerying nature décontenance un peu par ses aspects très classiques de documentaire pédagogique, avec ses interviews face caméra, ses voix off et ses témoignages. Pour un documentaire qui déconstruit les poncifs d’un monde animal «genré » pour mettre à jour sa grande diversité, il n’use pas beaucoup des possibles du cinéma. Mais il le fait avec sérieux, intelligence et délicatesse. Et puis, qui sait ? Ce « classicisme » lui permettra peut-être de passer sous certains radars pour diffuser son propos ? C’est aussi une stratégie politique. En tous les cas, le film avance tranquillement vers une démonstration de plus en plus évidente : la diversité dans la nature est inépuisable, qui est moteur du vivant. Dans nos sociétés réactionnaires qui se clôturent derrière leurs barbelés, refoulant l’autre, tous les autres, dans l’ailleurs indifférencié des indésirables, les derniers mots de Vinciane Despret sonnent comme un programme : «  Il ne s’agit pas d’accepter la différence, mais de la désirer ». Et le préfixe « trans » vient prendre tout son sens, qui traverse autant qu’il relie.