Cinergie.be

Revenge de Coralie Fargeat

Publié le 22/03/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Un plat qui se mange tiède 

Le sous-genre du « rape and revenge », popularisé par quelques longs-métrages d’exploitation controversés comme La Dernière Maison sur la Gauche (de Wes Craven), Thriller : A Cruel Picture (de Bo Arne Vibenius), La Bête tue de Sang Froid (d’Aldo Lado) et I Spit On Your Grave (de Meir Zarchi) implique un positionnement moral douteux. Volontairement provocateur et politiquement incorrect, le genre a néanmoins fait les belles heures des salles d’exploitation et des vidéoclubs. Tous ces films proposent une variation sur la même histoire : ayant subi les pires assauts sexuels de la part d’hommes bestiaux et monstrueux, la victime, tel le phénix qui renaît de ses cendres, élimine un à un ses agresseurs, sa vengeance purificatrice étant « légitimée » par l’outrage subi. Le « rape and revenge » a accouché d’une poignée d’authentiques chefs-d’œuvre : La Source (Ingmar Bergman), Délivrance (John Boorman) et L’Ange de la Vengeance (Abel Ferrara) sont des œuvres remarquables qui abordent la thématique sous un angle sociologique faisant défaut à la kyrielle d’ersatz voyeuristes qui leur ont succédé. Au fil des ans, le genre, apanage des cinéastes masculins, a fini par tomber dans des travers aussi indéfendables que le « torture porn », étalant avec complaisance des actrices dénudées et une violence envers les femmes trop réaliste pour être honnête. Il était donc intéressant de voir ce qui allait se produire quand une femme passerait derrière la caméra pour nous livrer sa version de l’exercice.

Revenge de Coralie Fargeat

 

 

Pour son premier long, Coralie Fargeat a eu l’instinct de ne pas faire de son héroïne (Matilda Lutz) une oie blanche. Jennifer est une bimbo qui aime s’amuser et séduire. Pur produit de sa génération, aguicheuse, vulgaire, la mini-jupe à ras-le-bonbon et les fesses au garde-à-vous, elle cherche par tous les moyens à être remarquée par les hommes, sans réfléchir aux conséquences de ses actes, quitte à être réduite au statut de pur fantasme masculin. Partie en weekend dans le désert californien, dans la luxueuse villa isolée de son richissime amant (un homme marié interprété par Kevin Janssens), elle séduit les deux amis de ce dernier, des beaufs fans de chasse. Cette approche anti-féministe du personnage de Jennifer s’avère assez bien vue : Coralie Fargeat décrète que c’est au spectateur de prendre ses responsabilités et de conclure que le comportement idiot de la jeune femme n’excuse EN RIEN le viol (forcément) abject dont elle va être victime. Laissée seule avec les deux individus, elle est violée par l’un d’eux pendant que l’autre, lâche, fait semblant de ne rien voir. Poussée ensuite, sans autre forme de procès, du haut d’une falaise par son amant (soucieux d’éviter les complications vis-à-vis de son épouse et des autorités), elle est laissée pour morte, empalée sur un arbre. En toute logique, Jennifer aurait dû mourir sur le coup. Mais à l’instar de Brandon Lee dans The Crow, elle se réveille en état de choc et en colère. Elle soigne ses blessures (un petit sachet de peyote qu’elle avait en poche va s’avérer bien utile), réunit les quelques forces qu’il lui reste, puis se met en chasse pour un haletant jeu du chat et de la souris dans le désert.

 

Revenge de Coralie Fargeat

 

Ce surprenant retournement de situation surnaturel n’est jamais expliqué. Matilda est-elle un fantôme ? Une morte-vivante ? Sa vendetta n’est-elle que le fantasme d’une femme à l’agonie ? Un long trip sous peyote ?... Nous ne le saurons jamais et c’est tant mieux, le procédé permettant à Coralie Fargeat d’oser quelques audaces visuelles dont le genre est souvent dénué, à l’instar de ces grosses gouttes de sang épais qui viennent noyer une colonie de fourmis et surtout, d’une exceptionnelle et haletante course-poursuite circulaire dans la villa, tournée en plan-séquence au steadycam. Et la réalisatrice de s’en donner à cœur joie dans le gore, déversant des hectolitres d’hémoglobine lors d’un final grandguignolesque. Les mises à mort, jamais innocentes (le voyeur est privé de ses yeux, le macho assassiné dans sa grosse voiture rutilante) bénéficient d’une approche tellement outrancière que Revenge finit par s’apparenter à une bande dessinée qu’il est impossible de prendre au sérieux. Visuellement, nous avons affaire à un pur fantasme de cinéphile, parfois étonnamment poétique (comme le démontre un gag à base de cannette de bière). Mais Revenge sait aussi se montrer pudique, puisque le viol, une fois n’est pas coutume, se déroule hors-champ et que Matilda Lutz ne passe pas la moitié du film sans ses vêtements, contrairement à Kevin Janssens qui, bon joueur, passe les 20 dernières minutes nu comme un ver.

 

Très divisée sur le résultat, la presse spécialisée n’a pas manqué de souligner les flagrants défauts de Revenge : personnages masculins caricaturaux, nombreuses invraisemblances et autres erreurs de continuité… que la thèse du trip onirique d’une femme agonisant lentement pourrait néanmoins justifier ! Revenge, c’est une évidence, n’est pas du calibre de Grave, Coralie Fargeat s’imposant davantage comme une brillante formaliste que comme auteur ! Thématiquement en effet, Revenge n’apporte rien de novateur, manque de surprises et oublie de développer son sujet en cours de route. En affichant fièrement son mauvais goût, en s’éloignant à tout prix du naturalisme malsain dans lequel le genre avait tendance à sombrer et en faisant preuve d’un amour sincère du cinéma grindhouse, Coralie Forgeat signe un premier film maladroit mais attachant, se situant quelque part entre la série Z involontaire et la série B décomplexée. Vivement Revenge 2 : Le Retour !

Tout à propos de: