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Seule l’imagination peut nous sauver de Michael de Cock

Publié le 19/12/2023 par Quentin Moyon / Catégorie: Livre & Publication

Lundi 4 décembre. Je remonte le boulevard Emile Jacqmain, laissant derrière moi la patinoire bondée des Plaisirs d’Hiver, noyée dans les effluves sucrés de vin chaud. Je passerai bientôt de l’autre côté, quittant la vie réelle pour une vie fantasmée : celle du théâtre. Je m’apprête en effet à rejoindre le cœur battant de la production théâtrale belge francophone, le Théâtre National Wallonie-Bruxelles, pour y entendre Michael de Cock, le directeur de la plus grande institution théâtrale belge néerlandophone, le Koninklijke Vlaamse Schouwburg (KVS), présenter son dernier livre. C’est alors qu’une étrange fièvre me prend. Émanant du ventre de l’institution, des rythmiques puissantes mettent en mouvement les corps de jeunes danseurs en transe. Une performance de 6e art signée Ch’eza Street, dont les good vibes ne pouvaient être que de bon augure. 

Seule l’imagination peut nous sauver de Michael de Cock

Contrairement aux articles habituels de Cinergie, ici il n’est pas question de pellicule. L'œuvre de Michael de Cock, écrivain et dramaturge bilingue, a été publiée sur feuilles de cellulose. Un livre au titre salvateur et ambitieux : Seule l’imagination peut nous sauver. Tout un programme, emprunté à la candidature d’Anvers en tant que capitale européenne de la culture en 93, qui rappelle en substance l’importance des arts dans nos sociétés. Pour créer du lien, en tant que collectif. Pour s’épanouir, réfléchir et s’ouvrir aux autres en tant qu’individu. C’est là la grande force du livre de Michael de Cock : mettre en avant la culture comme ce lien particulier qui nous unit, dénoncer son abandon par le politique et pallier l'enfermement de tout un chacun dans sa bulle de certitudes. 

Floutant les frontières entre fiction et réalité, souvenirs et inventions, Michael de Cock nous invite dans un livre inventif, à la rencontre de l'imagination dont le théâtre, l’art comme le sanctuaire de briques, serait le garant suprême. De Tomorrowland au KVS, en passant par un voyage en Amérique du Sud, l’auteur se met en scène. Nous contant le récit de sa rencontre avec la star américaine Paris Hilton, de ses jeunes années d’aspirant théâtreux, ou son expérience dans le plus grand festival techno d’Europe, il opte pour le rire tout en réfléchissant à des sujets très sombres. Le COVID. La montée des extrêmes en Flandres et ailleurs. L’hypocrisie des politiques à quelques mois à peine des élections. L’incompétence des médias mainstream et culturels. Seulement, ce discours parfois acerbe et vindicatif, même si justifiable, n’est jamais expliqué, creusé. Un manque d’argumentation qui se retrouve exacerbé lors de la soirée de présentation, où les banalités mettant dos à dos “les gentils politiques” d’un côté et “les méchants” de l’autre fusent. On se croirait dans une chanson de Michel Fugain. Si la journaliste Joyce Azar se fait une modératrice hors pair, posant le micro dans la plaie, une forme de violence symbolique s’exerce bientôt sur scène, prenant de haut “une culture belge médiocre” selon les mots d’une intervenante. Une violence corroborée par le portrait caricatural et un brin provocant que Michael de Cock brosse du journalisme dans son livre, pointant du doigt des journalistes qui “ne font pas correctement leur boulot et ne captent rien.” Des journalistes, dont les “articles ne sont rien de plus que du remplissage de pages”.  

Mais s’il manque parfois de subtilité, et s’il ne nous sauvera sans doute pas, le livre de Michael de Cock a le mérite de nous emmener à rêver un peu. À découvrir des gens, des univers que l’on ne connaîtra sans doute jamais. À partager, un temps, d’autres vies que la nôtre. Bref à panser nos maux, en lisant les siens de mots.