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Fac off de Frédéric Sojcher

Publié le 19/06/2024 par Quentin Moyon / Catégorie: Livre & Publication

L’université tue”. Comme une anaphore, ce gimmick mortel qui introduit le premier roman de Frédéric Sojcher, Bruxellois expatrié dans les couloirs de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, agit comme une prophétie autoréalisatrice. Entre politique interne mortifère, vie personnelle sacrifiée, sexe et décès, l’auteur nous livre dans Fac off un récit plein d’ironie sur ce milieu dans lequel il évolue : le monde académique.  

Mort dans l’âme. Petite mort. Mort tout court. La vie d’un universitaire, sous la plume de Frédéric Sojcher, ne semble pas de tout repos (à moins que ce dernier ne soit éternel). Avec 58 suicides dans les rangs de l’éducation nationale pour l’année 2018/2019 en France, on comprend que le sarcasme qui habille le texte de Frédéric Sojcher, est un procédé pour aborder avec subtilité la réalité d’un monde enseignant difficile. La fiction se fait artifice pour disséquer les maux du corps enseignant avec distance. Car comme le disent les frères Dardennes, «Au moins, avec un film de fiction, si on veut tuer quelqu’un, on le peut.»

Fac off de Frédéric Sojcher

C’est donc avec des procédés tout droits issus de scénarios de cinéma, entre rebondissements et suspens. Mais aussi avec une langue acerbe. Des phrases courtes, ponctuées et décapantes, que l’auteur nous plonge dans les 40 années et quelques de “vie active” du narrateur. De ses années sur les bancs, à celles sur l’estrade. Dans les coulisses de ce métier “vocation” qui se transforme bientôt en “carrière”. Où l’abandon de la passion de l’enseignement cède doucement mais sûrement la place à l’ambition. Quitte à pousser les autres, à les harceler. Quitte à laisser de côté sa famille, de vivre à distance du fait d’un système de nominations géographiques imposées. Quitte à tout sacrifier pour réussir à décrocher le sésame de Professeur des Universités. Le professorat comme un sport de combat, bien loin du cliché des “profs qui ne font rien”. 

Malgré tout, on ressent les lambeaux de passion de l’enseignement qui s’accrochent encore. Ce sentiment de connexion avec les élèves, de “« trip » avec mes étudiants. Je donnais cours comme je me serais shooté. Devant mon auditoire, j’étais en transe et, après le show, en état de manque.” Un show, une culture de la performance, de la scène, comme un clin d'œil aux premiers amours et premiers écrits de Frédéric Sojcher : le cinéma. À travers les surnoms attribués aux protagonistes du roman d’abord : Nosferatu, Betty Boops, Falstaff. Jusqu’aux appels de phares en direction de la Fémis ensuite. De multiples hommages que ce dernier effectue en direction du 7e art, pour nous rappeler que l’auteur est avant tout un amoureux de pellicule. 

Un entrelacement dans l’ouvrage de l’enseignement et de l’audiovisuel, qui s’exprime d’ailleurs en clôture, par un hommage à l’universitaire Serge Regourd, aussi relecteur de l’ouvrage, qui a pris sa retraite en 2016. Professionnel des médias et de l’audiovisuel, vice-président de la Cinémathèque de Toulouse depuis 2010… Une référence qui n’a pas laissé indifférent l’auteur de cet article, qui s’est lui-même retrouvé sur les bancs de l’université à suivre les enseignements de celui-ci. Serge Regourd qui rappelait en 2021 d’ailleurs dans le Monde diplomatique, que bien loin d’être un monde d'entre soi, la culture a un vrai pouvoir sociétal, car “Désormais, tout est culturel !

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