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Solo de Jean-Pierre Mocky

Publié le 15/05/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mocky voit rouge

Ces 12 et 13 mai, le cinéma Nova et l’INSAS organisaient une rencontre avec Jean-Pierre Mocky, suivie de 6 projections de ses films. C’est après un repas copieux et arrosé que le cinéaste de 84 ans débarqua avec son pote Noël Godin afin d’improviser une mémorable masterclass. Aussi intarissable qu’il fut prolifique à l’écran (66 longs métrages au compteur – et ce n’est pas fini), cet éternel iconoclaste, le plus autodidacte des cinéastes français, adepte du système D et de l’humour vache, n’a rien perdu de son énergie ni de son franc-parler légendaire. C’était l’occasion pour lui de nous faire (re)-découvrir Solo (1970), l’un de ses longs métrages les plus radicaux, un polar brutal et satirique inspiré des évènements de mai 68, coproduit par la France et la Belgique, tourné en grande partie dans le port d’Anvers

Des notables pédophiles s’adonnant au trafic de mineures sont massacrés dans une somptueuse villa du Vésinet, au cours d’une orgie. La police, en possession d'une lettre anonyme, soupçonne Virgil Cabral (Denis Le Guillou), un étudiant devenu membre d'un groupe terroriste d’extrême-gauche. Révolté par la société bourgeoise qu’il rejette en bloc, Virgil s’est radicalisé et a décidé de passer à l’acte pour « marquer les esprits ». Son frère aîné, Vincent (Mocky) est un violoniste itinérant, cambrioleur à ses heures, qui se livre au trafic de bijoux du côté d’Anvers. Vincent ne s’intéresse nullement à la politique. Apprenant que son frère cadet est recherché par la police, il décide de lui venir en aide, bien qu’il ne partage pas ses idées révolutionnaires. Par la force des choses, Vincent va se lier d’amitié avec les membres du groupe et se trouver embarqué malgré lui dans leurs activités...

 

Solo de Jean-Pierre Mocky

 

Alors que ses amis Truffaut et Godard s’en allaient jeter des pavés durant les évènements de mai 68, Mocky restait à l’écart de toute cette agitation, contestataire dans l’âme, mais peu convaincu de l’efficacité du mouvement. Solo est le fruit de cette frustration, une œuvre dans laquelle ces jeunes révolutionnaires en prennent pour leur grade, dépeints comme de jeunes ânes bâtés violents qui ne mesurent pas les conséquences de leurs actes et dont la réflexion ne va pas bien loin. Mocky éprouve néanmoins une certaine tendresse fraternelle envers eux, mais conspue leur goût pour la violence. La vie libertaire, d’accord. La révolution, très peu pour lui… Comme dans la plupart de ses œuvres, ce qui intéresse le réalisateur / acteur, c’est une étude des mœurs et de l’hypocrisie ambiante, dans les deux camps.  !

Film à petit budget, tourné dans l’urgence avec des bouts de ficelle, Solo fut tourné sans les grandes stars qui se bousculaient habituellement dans les films du réalisateur. Mocky avait pourtant sollicité tour à tour Alain Delon et Jean-Paul Belmondo pour incarner Vincent. Mais à l’époque, les deux géants du box-office français (ou leurs agents) avaient peur de casser leur image populaire et de s’aliéner un partie du public avec un sujet ouvertement politique. C’est suite à leurs refus que Mocky décide d’incarner lui-même le héros.

 

 

Solo de Jean-Pierre Mocky

 

Mocky dresse donc un bilan amer de Mai 68 et de cette jeune génération. Fidèle à son cinéma fait de bric et de broc, souvent brouillon et pourtant jouissif, il traite ces sujets de manière détournée, comme l’aurait fait son ami Chabrol : à la façon d’un polar pas très sérieux, retraçant une longue traque nocturne au rythme effréné, ponctué de performances « autres » (le duo de policiers vaut son pesant de cacahuètes) et de quelques saillies très violentes. Ce ton amer est reflété dans la jolie complainte sans mots composée pour l’occasion par Georges Moustaki.

C’est en revoyant des petits bijoux comme Solo (et comme L’Albatros, sorte de suite spirituelle tournée l’année suivante) que l’on se remémore l’originalité de la vision, l’étendue du talent et le caractère unique de ce cinéaste « self-made man », trop souvent réduit à sa caricature issue de ses passages énervés à la télévision, éternellement snobé par l’intelligentsia de la critique et des professionnels de la profession. Jean-Pierre Mocky, trublion colérique ? D’accord… Mais un cinéaste précieux avant tout ! Il est rassurant de savoir qu’à l’heure actuelle, avec des budgets ridicules et sans l’appui des grandes instances, Mocky tourne encore en moyenne un, voire deux films par an, en catimini, sans se soucier des modes et du qu’en-dira-t-on. Tout ce qu’il demande pour être heureux, c’est le MOTEUR, NOM DE DIEU !

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