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Tout s'est bien passé de François Ozon

Publié le 22/09/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mon père, ce héros

André (André Dussollier), 84 ans, est victime d’un accident vasculaire cérébral qui l’immobilise et le laisse à la merci des infirmières et des médecins. Pour cet intellectuel sophistiqué, marchand d’art qui, jusqu’à présent, était encore actif et indépendant, le choc est rude. Ses capacités mentales ne semblent pas avoir été affectées, mais, très diminué, il a des difficultés à s’exprimer, à se nourrir sans être aidé et il ne peut plus marcher, prisonnier de ce corps inerte. La moitié de son visage est paralysée et sa lèvre et son œil droit pendent désormais de manière grotesque. Homosexuel, André est séparé depuis belle lurette de son épouse dépressive (Charlotte Rampling) et ne peut désormais plus compter que sur ses filles, Emmanuèle (Sophie Marceau) et Pascale (Géraldine Pailhas), qui se relaient à son chevet. Ses rapports avec Pascale étant courtois, mais superficiels, André s’en remet surtout à la fragile Emmanuèle - sur qui il a toujours exercé une emprise très autoritaire -, notamment pour l’aider à mettre en branle son ultime projet : se rendre en Suisse pour procéder à un suicide assisté, la loi française interdisant une telle pratique.

 
Tout s'est bien passé de François Ozon

Le 21e film de François Ozon raconte les étapes émotionnelles et pratiques (recherches, prise de contact, organisation du voyage…) de ce parcours du combattant et illustre les bâtons qui vont venir se mettre dans les roues de cette famille réunie dans les pires circonstances. En effet, ce projet de fin de vie est non seulement risqué d’un point de vue légal (si elles aident leur père, Emmanuèle et Pascale risquent la prison), mais il invite plusieurs questionnements d’ordre moral. Ne s’agit-il pas, après tout, d’aider une personne saine d’esprit à se tuer ? « Ce n’est plus moi », déclare André pour justifier son souhait d’en finir. Or, même dans cet état avancé de déchéance physique, c’est toujours bel et bien lui !… En adaptant le roman (inspiré de faits réels) d’Emmanuèle Bernheim (sa coscénariste de Sous le Sable, Swimming Pool, 5x2 et Ricky, disparue en 2017), Ozon évite avec bonheur le piège du « film important ». Ce qu’il nous propose n’est pas un débat sur le droit de mourir dans la dignité, mais le portrait d’un homme complexe, manipulateur et têtu comme une mule. 

« On ne peut rien refuser à mon père » : voilà la phrase, prononcée à plusieurs reprises par Emmanuèle, qui résume André. Que ce soit avant ou après son AVC, ce dernier est un bon vivant qui a toujours fait passer ses besoins et ses désirs avant ceux de sa famille, mais qui, maintenant, exige de ses filles qu’elles l’aident à mourir, les exposant sans vergogne à de gros risques judiciaires et boudant comme un enfant lorsqu’elles tentent de l’en dissuader. André, qui est du genre à considérer que tout lui est dû, n’a jamais été un bon père et ses relations extraconjugales ont tourmenté sa famille. Il ne ressent pourtant pas le moindre remord. C’est dans son caractère égocentrique et dans sa détermination sans failles qu’intervient l’arme secrète du film : l’humour ! Nous sommes ici loin d’un chantage émotionnel à la Haneke (Amour) ou d’une description clinique de la maladie à la Pialat (La Gueule ouverte). Ozon s’avère au contraire maître dans l’art d’insérer de la comédie dans des moments de gêne. Si André s’effondre souvent en larmes, ça ne l’empêche pas pour autant de lancer des plaisanteries de mauvais goût, de raconter les pires mensonges à des cousines effroyables ou de faire des caprices d’enfant, tel une sorte de « Tatie Danielle » sur son lit de mort. 

Avec une démesure réjouissante, André Dussollier (qui n’a « que » 75 ans) s’avère (une fois de plus) fabuleux, entre tragédie et truculence. Il arrive à nous faire pardonner les offenses de ce personnage agaçant, voire à le rendre terriblement attachant malgré des défauts qui pèsent lourd. « C’est un mauvais père, mais j’aurais aimé l’avoir comme ami », dit Emmanuèle. Et le réalisateur d’illustrer avec tendresse le paradoxe de cet homme qui ne semble s’illuminer et retrouver une joie de vivre enfantine que lorsqu’il prépare sa mort. De très jolis moments d’émotion naissent dans la complicité inédite entre André et Emmanuèle (une Sophie Marceau très sobre), leur relation conflictuelle s’améliorant peu à peu lorsqu’ils manigancent ensemble, la fille espérant secrètement que son père se ravisera à la dernière minute...  

En alternant deux points de vue sur la question du suicide assisté (celui d’André : pragmatique et très définitif ; et le point de vue collectif des sœurs, qui passent par tous les registres émotionnels avant de prendre leur décision), Ozon crée le portrait d’une famille qui se reconstruit dans la promesse de la mort. En dépit d’une scène d’adieux absolument déchirante, il le fait sans se vautrer dans une indécente explosion lacrimale. En disant merde à la Faucheuse, en prenant les devants sur elle en choisissant lui-même son heure, et surtout, en n’en faisant qu’à sa tête, André devient presque un personnage héroïque.

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