Cinergie.be

Une vie volée, de Daniel Lambo - 2024

Publié le 28/06/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Des enfants adoptés, soi-disant orphelins, se révèlent en fait être des enfants purement et simplement volés, arrachés à leur famille par des subterfuges brumeux d’associations soi-disant caritatives. Dans Une vie volée, ou plutôt des vies volées pour reprendre littéralement le titre néerlandophone de ce documentaire signé Daniel Lambo, le cinéaste voyage de Colombie en RDC, d’Inde aux Pays-Bas sans oublier la Belgique, aux côtés de celles et ceux qui se battent pour la reconnaissance et pour la vérité. Un périple qui lève le voile sur bien des secrets enfouis dans les méandres administratifs de notre plat pays loin d’être innocent en la matière.

Une vie volée, de Daniel Lambo - 2024

 

Tout commence par une main tendue, acceptée avec innocence par des parents que l’on pourrait croire naïfs, mais qui sont surtout trompés par des institutions qui les dépassent. En Inde, c’est au travers d’associations caritatives, à l’instar de De Vreugdezaaiers renommée en 2019 Joy for Kids, que ces procédés peu scrupuleux étaient mis en place. Rani T’KIndt en a fait les frais, alors qu’elle n’était qu’une nouvelle née. Prise en charge par des religieuses, elle a été retirée à sa mère du jour au lendemain, sans explications. Et après de nombreuses demandes, on a fait croire à celle-ci que sa fille était décédée, alors qu’elle était envoyée dans les filières d’adoption européennes. Car les précautions aujourd’hui mises en place par les gouvernements nationaux et l’Union européenne n’étaient alors pas aussi rigoureuses, et qu’un changement de nom et de faux papiers étaient alors tout ce qui séparait ces enfants du statut d’enfant volé à celui d’orphelin. “Je ne souhaite cela à personne”, affirme Rani, elle qui a finalement pu retourner sur les traces de sa famille biologique, à laquelle elle a pu présenter sa propre fille.

Un procédé peu facilité par les institutions, où la vérité ne côtoie pas forcément la reconnaissance ni les excuses. Marcia Engel (née en Colombie puis adoptée aux Pays-Bas) en fait encore les frais aujourd’hui, alors qu’elle œuvre depuis 2008 à réunir enfants extorqués et familles dépouillées en Colombie. Le site de son association, Plan Angel, a ainsi régulièrement été victime de piratages et d’actes malveillants, tandis que ces séjours en Colombie font l’objet d’une surveillance rapprochée de la part des autorités. Une situation qui fut aussi celle vécue par le journaliste Kurt Wertelaers et son photographe lors de leur enquête sur les vols d’enfants effectués en RDC par l’association Tumaini et sa fondatrice, Julienne Mpemba. Alors qu’eux ont réussi à s’en sortir grâce au soutien de leur rédaction, et des services de renseignement belges, leur contact sur place n’a pas eu cette chance.

De bout en bout, les récits capturés par Lambo sont glaçants, révélateurs d’un système mondialisé d’adoption gangréné par des pratiques qui oscillent entre néo-colonialisme bienveillant et pure domination. Et Wertelaers de conclure : “Aujourd’hui, il est quasiment impossible de savoir si les enfants “orphelins” qui ont été adoptés en Belgique l’étaient, ou le sont réellement.” Et malgré les enquêtes déjà enclenchées par les familles, par les enfants eux-mêmes, et par les lanceurs d’alertes, il faudra encore du temps et de nombreux efforts, à l’image de ce film, pour parvenir à un semblant de vérité.

Tout à propos de: