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Viva Mexico de Nicolas Défossé

Publié le 03/03/2011 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Tierra y libertad

Chiapas, fin 2005. Depuis les montagnes du sud–est mexicain, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) fait sa sixième déclaration dans laquelle elle développe l’idée de l’Autre campagne. Alors que les différents partis politiques mexicains se mobilisent en vue des prochaines élections présidentielles, l’Autre campagne propose d’aller à la rencontre et à l’écoute des différentes communautés civiles en lutte au Mexique.

C’est ainsi que le 1er janvier 2006, une caravane, composée de quelques camionnettes, quitte le Chiapas pour une tournée de plusieurs mois qui doit la conduire de l’extrême sud du Mexique jusqu’à la frontière des Etats-Unis.


 

À sa tête, le délégué zéro, autrement dit, le sous-commandant Marcos lui-même, figure charismatique du mouvement zapatiste, qui met sa personne en danger pour mieux incarner les propositions de cette Autre campagne : soutenir les luttes locales en préservant leurs singularités, comprendre leurs modes de résistance à la politique néolibérale du gouvernement, et poser à partir de leurs expériences, les bases pratiques d’un autre monde, un monde qui contiendrait tous les mondes.
Viva Mexico, le premier long métrage documentaire de Nicolas Défossé, raconte, au jour le jour, cette incroyable aventure. Sous des allures de road-movie chaotique, c’est à une véritable épopée politique et cinématographique qu’il nous convie, épopée moderne dont les héros sont d’abord et avant tout ces hommes et ces femmes dont on entend rarement la voix, et qui, ici, sont paroles et récits de luttes nées de cette terre ancestrale, limon incorruptible de toutes les résistances.

Tourné dans le mouvement même de ce périple, presque à l’arraché, et jouant des aléas et des difficultés qu’une telle situation impose, le film se déploie comme une spirale implacable dont le déroulement va s’amplifiant. Parti de la forêt Lacandone, gagnant le Yucatan, puis l’état de Oaxaca, le dessein de Viva Mexico va progressivement envahir tout le Mexique jusqu’à le déborder, posant avec autant de force que de pertinence que la seule solution, c’est nous-mêmes.

Cinéma politique dans ce qu’il a de plus vrai, de plus sensible, Viva Mexico dépasse le simple discours pour parier sur les surprises du voyage, autant que sur la diversité des points de vue rencontrés.

Rompant avec toute velléité didactique, Nicolas Défossé construit son film à partir de lignes narratives qu’il enchevêtre comme on noue une tresse en un montage fluide et parfaitement maîtrisé. La plus importante est bien évidemment cette parole des communautés en lutte qui s’articule autour d’une problématique récurrente, la réappropriation de la terre et la défense de celle-ci. Cette parole saisie en suivant la caravane de l’Autre campagne, s’énonce toujours en situation avec ses surprises, ses imprévus, et c’est elle qui, rebondissant de lieu en lieu, autorise celle du sous-commandant Marcos. De l’une à l’autre, se crée un effet de résonance d’où naît comme un sentiment de complicité, complicité d’émotions et de non-dits, fragile espace où le spectateur trouve sa place.

Pourtant, ce qui ouvre le film à l’autre, à notre regard, tient aussi dans cette façon si particulière que Nicolas Défossé a de filmer les lieux et les gens hors de toute parole. S’arrêtant au gré des rencontres, au gré des paysages, il nourrit son film d’images vivantes d’hommes et de femmes au quotidien, voyageant presque amoureusement un Mexique inattendu. Entre chromos de soleil couchant aux couleurs saturées rappelant celles des blouses des femmes indiennes et instantanés de routes et de villes aux décors cabossés comme des visages burinés de soleil, c’est toute une sensibilité latine qui voit le jour.
Et de cette vision très personnelle du Mexique, Nicolas Défossé fait plus qu’une toile de fond. Véritable moteur de cette aventure cinématographique, c’est ce regard attentif et sensible qui donne au film toute sa subjectivité.C’est lui qui nous invite à venir rejoindre et nous joindre à cette Autre campagne, à être partie prenante de ce qui s’y dit, s’y vit, s’y rêve. Et ici, point question d’accord ou de désaccord, mais bien de ce qui se met en commun, de ce qui se rencontre et s’unit.

Si Viva Mexico nous donne à voir la géographie rebelle d’un pays où se retrouvent, ensemble, communautés indigènes et collectivités autonomes, sa réussite se trouve dans ce sentiment de partage qui nous emporte lors de sa vision.

Rien d’étonnant alors que le film trouve sa ligne de force finale quand l’Autre campagne, abandonnant sa tournée, rejoint les émeutiers de la commune d’Atenco, stigmatisant, avec des milliers d’autres, la terrible répression qui s’abat sur eux, affirmant que si l’on attaque l’un d’entre nous, on nous attaque tous, qu’il n’y a pas de luttes isolées, et que la solidarité n’est pas qu’affaire de soutien, mais réside dans cette présence rebelle et permanente qui tient les luttes ensemble.

Conclusion évidente autant que nécessaire pour un film qui, loin des sentiers battus du cinéma militant, vivifie la puissance politique de l’acte de filmer l’autre.


http://www.vivamexicofilm.com/fra.html

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