Réalisatrice et photographe.
Après une licence en Philologie Romane à l’Université de Louvain, en Belgique, Marie MANDY a étudié le cinéma à la London International Film School au Royaume Uni. Lauréate de la Fondation de la Vocation, elle a d’abord été photographe avant de réaliser une trentaine de documentaires. Formée au scénario et à la dramaturgie, elle enseigne l’écriture du documentaire au CEFPF à Paris et à l’Université d’Aix-Marseille. Elle intervient aussi dans de nombreux séminaires.
Par l'intérieur
C'est toujours par l'intérieur qu'il faut aller aux choses, toujours, toujours en partant de la passion.
Stefan Zweig, la Confusion des sentiments.
Où est l'étincelle? Etait-elle à Louvain, Belgique, quand à l'âge de sept ans, ma mère me demanda de terminer le film qui était dans son appareil photo, pour le porter au développement? Il restait deux clichés à prendre, et je photographiai sous deux angles différents un merveilleux bouquet de tulipes blanches qui trônait sur la table. Quelques jours plus tard, ma mère me demanda pourquoi j'avais photographié ces fleurs. Oui, pourquoi. Et pourquoi pas?
Où est l'étincelle? Etait-elle à Kinshasa, Zaïre, quand, à neuf ans, j'assistais aux séances de cinéma en plein air organisées une fois par mois, au "Club"? J'y voyais l'Indien Winetou et Fantômas. Ils me faisaient rêver durant des semaines car mes souvenirs de cinéma se limitaient aux 101 Dalmatiens et à Mary Poppins. Et nous n'avions pas la télévision à la maison.
Est-ce à Kinshasa, Zaïre, quand à l'âge de onze ans, mon amie d'enfance me demanda de lui offrir pour son anniversaire un reportage photographique qui conterait l'histoire de notre vie quotidienne sur le campus? Son père se proposa comme chauffeur, et nous partîmes. C'était notre première "commande" et je la prenais très au sérieux. Nous nous arrêtions devant chaque endroit symbolique: l'école, le "Club", l'église, la maison d'Untel, et je courais d'un côté à l'autre pour trouver le meilleur angle. A la demande de mon amie, je m'attardai aussi sur certains détails: gros plan des branches d'un arbre où nous avions notre "camp", ou vue d'ensemble de la colline sur laquelle nous habitions. Le lendemain, je fis poser tous les enfants de la classe pour la photo de groupe, et je fis de même avec sa famille et la mienne. Je mis le tout dans un album, et voilà le reportage. Une petite histoire imagée de notre enfance africaine.
Où est l'étincelle? Etait-ce à Ann Arbor, USA, quand, à l'âge de quatorze ans, j'allais à l'école "publique", en bus jaune, avec tous les petits Américains de mon quartier? Au cours d'histoire, stupéfaction: sur un écran blanc on nous projetait le film de la guerre de Sécession en 16 mm. Cours de sciences: un vidéogramme sur l'atome, les protons. Cours de français: ils décortiquaient un journal télévisé français, en me demandant un coup de main pour la prononciation. Cours d'anglais: la biographie filmée d'un écrivain, cours de géographie: des images de volcans en fusion. Et je quittais l'école, les yeux plein d'images, en n'ayant, pour une fois dans ma vie, pas l'impression d'aller à l'école.
Etait-ce ce choc violent? Cet étrange contraste entre l'Afrique et l'Amérique qui avait nourri le ruban d'images qui se construisait dans mon esprit? Je rêvais de le décalquer de ma pensée vers un support qui me permettrait de le partager avec mes amis. Mais comment faire?
La solution apparut lorsque je me retrouvai à quinze ans en Belgique, dans une école de filles tenue par des bonnes soeurs. Un recul dans le temps! Le professeur de français proposa une activité parallèle au cours. Quand elle parla de "montage poétique", je bondis de ma chaise pour déclarer: "Et si nous faisions un film?". Après, tout s'est enchaîné très vite, cette charmante prof a fait venir un vidéaste qui nous a expliqué le fonctionnement du matériel et nous avons écrit un scénario toutes ensemble, dans le cadre du cours. Puis, j'ai été chargée d'en organiser la réalisation. Nous nous sommes réparti les rôles: caméra, son, scripte, comédiennes, figurantes. Certains professeurs ont accepté de jouer leur propre rôle. Le tournage fut un réel plaisir, le montage une découverte. Le film, qui dénonçait une éducation trop directive, racontant combien elle peut aussi pervertir l'enfant, fut montré à toutes les classes et les retombées furent immédiates: création d'un conseil d'élèves pour revendiquer des améliorations, certains professeurs en se voyant à l'écran, se remirent en question... et je réalisais que le cinéma ne servait pas qu'à raconter des histoires, qu'il était aussi un moyen de changer les sociétés. Dans ma tête, tout était clair, j'allais devenir cinéaste. J'avais quinze ans et c'était une idée fixe, obsessionnelle.