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Marie Mandy - Mes deux seins, journal d'une guérison

Publié le 06/10/2010 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

En découvrant l'existence du film en même temps que du projet de webdocumentaire, en juin dernier, lors de la journée organisée par le Centre du cinéma sur cette nouvelle forme de narration audiovisuelle, nous sommes restés attentifs au travail de Marie Mandy et attendions avec impatience la sortie du documentaire.
À peine sorti des bancs de montage, ce film, produit par Paul Fontaine, connaît un engouement certains venant de la presse cinématographique ainsi que du monde associatif paramédical.
Curieux de savoir comment cette aventure s'est mise en place, et de quelle manière se construit un film documenté écrit à la manière d'un journal intime, nous rencontrons Marie Mandy, en pleine campagne de lancement, tiraillée entre deux trains, trois villes, et cinq périodiques féminins.

Cinergie : Comment et quand t'est venue l'idée de réaliser un film sur le cancer qui t'a atteint ?
Marie Mandy :
En fait, l'histoire a commencé simplement. J'avais une boule à mon sein droit que j'avais sentie moi-même et que je trouvais bizarre. J'ai mis du temps avant d'aller voir un médecin, parce j'avais peur, j'avais très peur. J'avais une vague idée que ça pouvait être dangereux et grave. Je n'allais pas bien. Je me suis décidée à faire une biopsie, et le médecin m'a dit d'emblée que c'était un cancer. Comme les traitements et autres interventions allaient prendre du temps avant de débuter, je commençais à tourner en rond. La personne avec laquelle je vis m'a dit "mais fait un film avec ça !"
Au départ, je voulais faire un film parce que je voulais partager des choses par rapport à ce cancer que je traversais. L'option que j'ai choisie, c'est d'en parler de manière simple, sans tabou, en montrant les choses telles qu'elles sont. Cela doit être cette manière d'en parler qui doit plaire aux plannings familiaux et aux associations qui font un travail de prévention et d'accompagnement.
J'ai toujours eu un projet de cinéaste, mais je ne savais pas, quand j'ai commencé, quel film j'allais faire. Mon idée au départ était d'enregistrer les rendez-vous, de tout filmer, stoker de la matière. Vincent Fooy, le chef opérateur qui m'a accompagné depuis le début, est un ami avec qui j'ai fait plus de dix films. On a une grande expérience de travail ensemble. Sa caméra me suivait, ou plutôt m'accompagnait dans mes recherches, mes rendez-vous, mes doutes, et je lui parlais, je lui racontais mes états d'âme, mes émotions. Je voulais garder une trace de tout ça. Je savais que si je voulais faire un film, il fallait que j'aie une trace de tout ce que j'avais traversé. On enregistrait comme une espèce de caméra mémoire ou caméra témoin.

C. : Quel sont ces états par lesquels tu es passés ? Chez toi, il n'y a aucune détermination, tu as voulu savoir plus, tu as consulté auprès de différents médecins qui exercent aussi des médecines différentes.
M. M. :
Au départ, je n'y croyais pas, j'avais fait un travail si intense sur moi-même, quinze ans de thérapie, que je refusais d'admettre que mon corps se déréglait. J'ai été prise d'un sentiment d'injustice et de colère !
L'art m'a aidé à traverser ces sentiments. En lisant les témoignages de femmes qui sont passées par cet état, en regardant des photographies, des peintures qui avaient été faites par des femmes, j'ai pu m'apaiser, comme si la création avait une puissance de communication, d'apaisement.
Avec mon film, j'ai voulu ajouter un maillon à cette chaîne.
J'ai reçu beaucoup d’artistes qui m'ont permis de comprendre des choses, à panser mon corps, à panser cette maladie et, à mon tour, j'ai voulu prendre le relais. La dimension plastique du film est portée par cette envie d'incarner dans des images fortes ce que j'ai vécu. Parfois, on se demande à quoi sert l'art ou le cinéma. Je peux assurer que je l'ai vécu dans mon corps, dans mon âme en profondeur, ça m'a aidé profondément, ça m'a ouvert les yeux.
Pendant que je tournais, j'ai eu besoin de rencontrer des femmes qui avaient traversé la même épreuve que moi ou qui étaient confrontées, comme moi, à l'ablation d'un sein. J'avais beaucoup de questions, de curiosité, j'avais envie de comprendre. J'ai filmé le témoignage de ces femmes. Finalement, elles n'ont pas trouvé leur place dans mon film parce qu'elles sont terriblement passionnantes, elles ont tellement de choses à dire que je trouvais que leur donner à peine quelques minutes était vraiment dommage.J'ai préféré garder ces interviews pour en faire un nouveau projet mais un projet de webdocumentaire que je suis en train de développer pour donner la parole à de nombreux hommes et femmes qui ont eu le cancer du sein parce que, des hommes aussi peuvent avoir le cancer du sein.
Quand la chirurgienne m'a annoncé que j'allais perdre un sein, je me suis demandé comment j'allais faire face sur le plan symbolique à cette perte. J'ai eu besoin de faire comme un travail d'adieu et j'ai choisi la photographie. J'ai pris mon appareil photo et comme ça, au moins, je conserverai mes seins dans un fichier informatique. Il fallait que je fasse quelque chose avec l'image de mon corps avant qu'il ne soit plus le même. J'avais rencontré des femmes qui m'ont dit regretter de n'avoir jamais pris des photos de leurs seins avant l'ablation ou la chirurgie et qu'elles ne se souvenaient pas comment elles étaient avant.
Très vite, j'ai dépassé la simple idée de garder l'image d'avant/après et de faire une espèce de travail de scarification comme dans certaines sociétés traditionnelles, en marquant sur mon corps les souffrances que je traversais. J'ai fait des projections vidéo de mes traitements sur mon propre corps comme si, à travers ce voyage, ça me permettait de m'apaiser et de m'habituer à cette image d'une femme mono sein .
Une épreuve, ça fait forcément grandir et tous ceux qui l'ont traversée le savent. Qu'est-ce qu'on peut faire quand on a un cancer ? Se laisse bouffer par la maladie et déprimer, ou essayer de comprendre le message que cette maladie nous envoie ?

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