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Four Seasons in a Day d' Annabel Verbeke

Publié le 05/05/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Dans Four Seasons in a Day, la réalisatrice flamande Annabel Verbeke interroge les passagers du ferry de Carlingford qui, chaque jour, chaque heure, franchit le golfe et passe d'une Irlande à l'autre, au détour d'une bouée rouge. À l'aube du Brexit, la cinéaste embarque à bord de ce vaisseau transfrontalier pour susciter les questionnements et libérer la parole, les réflexions et les avis sur cette future séparation entre ces deux entités pourtant si proches.

Four Seasons in a Day d' Annabel Verbeke

Elle y rencontre une galerie de personnages attachants, posant nonchalamment sa caméra sur leur capot, dans leurs roulottes ou simplement à leur côté selon leurs itinérances. Jeunes et vieux, adultes, adolescents, parents, enfants, chacun a son avis, son ressenti et son positionnement par rapport à ces libertés sur le point de s'effacer, sur ces identités qui s'entrechoquent et sur l'impact concret que ces mesures auront sur leur vie. Et même si le propos est sous-jacent, on sent les tensions et les interrogations ressortir du quotidien de cette famille anglaise en villégiature du côté irlandais, ou dans les paroles de ces gamins à vélo, amis de confession et de nationalité différente. Car malgré ce que peuvent penser certains de ces personnages, comme les enfants notamment, les adultes ne sont pas dupes. Gardes douaniers, agriculteurs, ou encore ce trio attendrissant d'employés des pompes funèbres sont tous conscients de l'impact qu'auront ces nouvelles mesures sur eux et sur leurs allers et venues quotidiens. De nouveaux collègues à recruter pour les douaniers, de nouvelles taxes pour l'agriculteur déjà saigné à blanc, de nouvelles procédures pour les pompes funèbres, et surtout des incertitudes d'adultes comme d'enfants sur ce à quoi tout cela ressemblera lorsque leur simple liberté de mouvement sera entravée, lorsque le ferry ne pourra plus les faire passer d'un bord à l'autre avec cette facilité européenne.

Au travers des langues qui se délient, on comprend les écarts de point de vue comme les différences de préoccupations entre les protagonistes. Une volonté de revendiquer leur identité pour certains, un non-sens géopolitique pour d'autres, le Brexit s'invite dans le film sans même que la réalisatrice semble devoir amener la discussion. Une disruption dans ce pays si serein et sur ces montagnes immuables.

La beauté et la sérénité des lieux captés par la réalisatrice contribuent à mettre en avant ces nombreux personnages, tout en démontrant les talents de cette cinéaste servie par des paysages inspirants et des lumières tamisées au fil de l'eau. Avec une vraie vision cinématographique, Annabel Verbeke crée des images iconiques, telle cette petite fille qui sort la tête de la portière pour admirer le débarquement du ferry, ou encore les nombreux passages autour du phare et de ces bouées, de nuit comme de jour, symbolisant la future frontière  qu'il y aura entre ces deux Irlandes. Un décor majestueux entourant ces êtres en perte de repères, mais tentant de garder le cap, et de se raccrocher aux choses essentielles et aux petits bonheurs de la vie. Un enterrement de vie de jeune fille, une promenade à vélo entre amis, une veillée sur la plage ou encore l'espoir d'apercevoir Finn le dauphin, l'escorte sympathique du ferry de Carlingford. Tous ces instants que l'être humain saisit pour éviter de perdre pied, en attendant que l'orage du changement passe. L'expérience d'un Brexit au plus proche des gens, pour en saisir le véritable impact au-delà d'un journal télévisé et d'un comité européen, pour le comprendre où il comptera vraiment.

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