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A Good Man de Marie-Castille Mention-Schaar, en Premium VOD dès le 02/02

Publié le 02/02/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Un homme et une femme

Benjamin (Noémie Merlant), aide soignant, et Aude (Soko), professeure de danse, s’aiment et vivent ensemble depuis six ans. Ayant fait plusieurs fausses couches, Aude souffre de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Par amour, Benjamin décide que c’est lui qui portera leur bébé. En effet, six ans plus tôt, quand ils se sont rencontrés, Benjamin était une femme prénommée Sarah, mal dans sa peau. Aujourd’hui, sa transition est presque complète, mais il est toujours sous traitement hormonal. Mais Benjamin n’a pas évalué l’ampleur et les répercussions de son « sacrifice », notamment dans une société où porter un enfant est, depuis toujours, le symbole universel de la féminité. Cette interruption dans sa transition va, de toute évidence, le perturber, avec des répercussions physiques et psychologiques inévitables, sans compter toutes les questions sur le regard des autres qui vont venir s’ajouter à cette grossesse qui est déjà un défi.

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Benjamin a changé de vie, loin de sa famille et de sa Provence natale, pour s’installer avec son épouse dans une petite ville où personne ne le connaissait. Pour vivre heureux, semble-t-il, il doit vivre caché. Sa mère, Eva (Anne Loiret), avec laquelle il entretient une relation toxique, ne cache jamais qu’elle regrette la présence de « sa fille » et continue à l’appeler « elle ». Antoine (Vincent Dedienne), son frère aîné, semble, dans un premier temps, se montrer plus compréhensif, mais il voit cette grossesse comme un nouveau caprice. Quant à Erwann (Gabriel Almaer), collègue et ami, il ignore tout du passé de Benjamin et parle d’imposture lorsqu’il apprend la vérité, choqué. Aude, pour sa part, a l’impression qu’elle n’existe plus, dépossédée de sa féminité par quelqu’un qui « prend beaucoup trop de place », qui joue trop de rôles en même temps au sein de leur couple. 

Marie-Castille Mention-Schaar, qui avait révélé Noémie Merlant en jeune femme tentée par le djihadisme dans son excellent Le Ciel attendra (2016), fait le choix de ne pas proposer un « film-débat » sur la transexualité ou sur le droit pour un homme de porter un enfant (officiellement, sur la carte d’identité de ce dernier figurera la mention : « Mère : Benjamin Adler / Père : inconnu »). Loin de tout prosélytisme, la cinéaste se contente de faire le portrait, inspiré de faits réels, d’une personne transexuelle qui aimerait que le sujet de son genre n’en soit plus un. Or, à ce stade, être un homme, pour Benjamin, est encore un combat quotidien. Outre les défis de son traitement médical et sa décision d’anéantir six ans d’efforts pour mener sa grossesse à terme, il cherche seulement à ne plus se sentir comme un étranger dans son propre corps. Il revendique également son droit à élever un enfant comme tout le monde, ni plus ni moins. Il en a plus qu’assez de toujours devoir justifier son identité auprès des administrations et espère simplement être un jour considéré comme un homme à part entière. Il voudrait surtout que l’on comprenne que sa transition n’est vraiment pas une question de choix ou la lubie d’un lunatique. Est-ce vraiment trop demander ? Benjamin veut simplement être « lui-même », mais rien n’est simple autour de lui : il y a toujours un prix à payer ! 

« Tu n’as jamais rien fait comme les autres. (…) Il faut juste qu’on soit d’accord avec toi, qu’on t’applaudisse ! », lui reproche son frère, exaspéré, de plus en plus convaincu que Benjamin cherche avant tout à se faire remarquer en profitant d’une société permissive et d’un climat où l’individu est roi et peut tout faire comme bon lui semble. Paradoxal, puisque Benjamin aspire uniquement à une vie normale et qu’il devient malgré lui le sujet de quolibets et de regards en coin ! Dans ce rôle délicat (passons sur le débat à propos des acteurs et actrices cisgenres qui « volent » des rôles à des acteurs transexuels et contentons-nous ici de juger le film pour ce qu’il est !...), Noémie Merlant, barbue, avec sa voix modulée en post-synchro, se montre une fois de plus très convaincante, même si le film n’évite pas certains clichés (Benjamin est un homme, donc il joue à des jeux vidéo). Son regard, toujours très féminin malgré la transformation, reste lumineux et plein d’espoir, même au summum de sa souffrance. Mais c’est Soko, une fois de plus formidable, après La Danseuse, qui remporte l’adhésion dans un rôle nettement plus effacé. Alors que la colère et les états d’âme de Benjamin prennent énormément de place, Aude devient progressivement invisible et le supporte très mal. Son effondrement progressif est abordé d’une manière forcément beaucoup plus subtile et délicate, ce qui rend son personnage bien plus attachant. 

Film modeste, très classique dans le déroulement de son récit, A Good Man n’est finalement rien d’autre que le joli portrait de deux personnes qui s’aiment infiniment et qui, à cause du qu’en-dira-t-on et d’une société en retard, se retrouvent pourtant seules au monde, à se déchirer.

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