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Acide de Just Philippot

Publié le 15/09/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Toute la pluie tombe sur moi…

Conséquence extrême du réchauffement climatique et d’une somme de dérèglements à l’échelle planétaire, des nuages de pluies acides dévastatrices s’abattent sur la France (et le reste de la planète), faisant littéralement fondre les toits des maisons, rongeant la peau en quelques secondes, anéantissant tout ce qui n’est pas à l’abri sous des couches de béton armé (faune et flore comprises). Dans ce monde sur le point de sombrer définitivement, une famille fracturée – Élise (Laetitia Dosch), mère courage au bout du rouleau, son ex-mari, Michal (Guillaume Canet), ancien ‘Gilet jaune’ colérique, désormais en couple avec Karin (Suliane Brahim), et leur fille Selma (Patience Munchenbach), 15 ans, une ado revêche dont ils se partagent la garde - va devoir s’unir pour échapper à la catastrophe. Perdu entre Arras et Anvers, le trio tente de rejoindre Karin, hospitalisée... quelque part ! Mais sur les routes de France et de Belgique, l’exode a déjà commencé et ce sont des milliers de réfugiés climatiques qui se pressent, en vain, sans réelle destination. Une course contre la montre démarre pour la famille alors que l’Humanité, agressive, pratique le chacun pour soi…

Acide de Just Philippot

De l’avis général (critique et public), le premier long métrage de Just Philippot, La Nuée (2020), récit d’un élevage de sauterelles vampires par une agricultrice aux abois, ne manquait ni de brio ni d’ambition, rare incursion d’un cinéaste français dans le film d’horreur, avec un sous-texte social passionnant. Mais La Nuée, particulièrement dans son dernier acte, n’allait pas au bout de son propos et restait beaucoup trop timorée pour convaincre. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la leçon a été retenue, le réalisateur déployant cette fois tout son savoir-faire, narratif et visuel, pour créer une expérience aussi immersive que terrifiante (notre cycle de vie étant entièrement lié à l’eau, lorsque celle-ci est contaminée, tout se détraque), car relativement plausible au vu de l’état de notre planète. 

Film catastrophe résolument moderne sur le thème de l’écoanxiété, Acide, version longue d’un court-métrage de 2018 (qui mettait en scène des personnages différents), se mue en road movie puis dégénère en survival désespéré (il n’y a pratiquement plus nulle part où se cacher), rappelant, par son ambiance mortifère et son mélange de grands spectacles et de scènes intimes, divers films et séries comme The Road de John Hillcoat, mais aussi La Guerre des mondes (version Spielberg) ou The Last of Us, tout en restant ancré dans un réalisme social 100% français. Au passage, Just Philippot nous offre une poignée de visions cauchemardesques : chevaux au galop dont le crin est rongé par la drache mortelle, corps immergés dans un fleuve devenu un tombeau à ciel ouvert, gadoue dans laquelle le moindre pas peut vous coûter une jambe, paysages, voitures et maisons rongés par la pluie… des tableaux surprenants qui font preuve d’une grande rigueur scientifique et qui font froid dans le dos. 

Avec les pluies acides comme métaphore des dangers climatiques, médicaux et sociaux actuels, Philippot crée une œuvre sombre, presque entièrement dénuée d’espoir (outre quelques gestes d’amour touchants entre la fille et ses parents), qui pointe du doigt notre impuissance grandissante face aux bouleversements inéluctables qui nous guettent, mais aussi la culpabilité d’une génération qui n’aura pas su offrir à ses enfants un avenir heureux. Traumatisant en diable, Acide s’impose comme un nouveau prototype de film de genre hexagonal bien plus sérieux et mémorable que la moyenne.

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