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Adieu Sauvage de Sergio Guataquira Sarmiento

Publié le 20/06/2023 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

D’un monde à l’autre, d’un projet à une révélation. Quand Sergio Guataquira Sarmiento est parti à la rencontre de sa culture, il ne s’attendait sans doute pas à un tel choc, et à une telle remise en question. Découverte d’un cinéaste qui se retrouve submergé par ses personnages, avant de retrouver son sujet au détour de ce qui est tout sauf un long fleuve tranquille.

Adieu Sauvage de Sergio Guataquira Sarmiento
Dans Adieu sauvage, Sergio Guataquira Sarmiento part d’abord en quête de réponses. Le taux de suicide parmi les jeunes des communautés amérindiennes d’Amazonie est stratosphérique, en particulier chez les Cacuas. Est-il possible que les gens de ce peuple ne ressentent aucune émotion, car les mots n’existent pas dans leur langue ? Ou bien une profonde solitude se cache-t-elle derrière cette absence du mot amour ? Alors que le film semble s’ouvrir sur une approche anthropologique, on découvre assez vite que le cinéaste ne peut adopter un point de vue objectif sur cette rencontre qui va le bouleverser. Lui-même descendant d’une communauté autochtone colombienne presque disparue, il va très vite être absorbé tout entier par ce monde qu’il découvre, et où il est lui-même “le Blanc”, l’étranger. À la recherche de réponses peut-être plus encore sur lui-même que sur son sujet.

En résulte une perte de contrôle, lente mais inexorable. Le réalisateur se retrouve englobé dans la communauté, affublé de tâches qu’il ne maîtrise pas, pour finalement se révéler presque un poids dans cet univers auquel il n’est pas du tout préparé. Lui, l'homme qui venait ici capter les images et trouver les réponses, se voit à présent capté par cette forêt et cette vie, si différente de la sienne. Jusqu’à ce que Laureano, muse du cinéaste, ramène lui-même le sujet de l’amour et de la solitude dans les conversations, lors d’un moment de stase hors du temps. Savamment monté, Adieu sauvage se construit comme le glissement lent d’un monde vers l’autre, de la réalité très matérielle et écrasante d’un avion à réaction qui survole la forêt jusqu’à la frontière bien plus floue d’un sommet caché dans la brume, propice au recueillement et à l’échange. Le noir et blanc crée des images d’une beauté simple, semblant parfois surgies d’un autre temps, parfois résolument actuelles. Comme si le peuple Cacu appartenait déjà à une époque révolue, ou bien qu’il n’était que l’expression de l’essence de notre futur. L’intemporalité de cette petite fille assoupie dans la pirogue est tout simplement bluffante.

Alors, pourquoi ce peuple se meurt-il ? Nul ne peut vivre seul et sans amour, assène Laureano, lors d’une de ces conversations avec le cinéaste. Au milieu de cette cathédrale de verdure, la forêt et ses merveilles deviennent un tombeau dans lequel s’enterre peu à peu l’individu, par manque d’amour et de moyens d’expression, de contacts avec le monde extérieur. Ce n’est pas une idée de “civilisation” que recherchent ces communautés, mais bien une reconnaissance, un respect de la part de l’humanité, et la possibilité d’envisager autre chose que l’enfermement dans ces poches de vie que sont les villages. À la fois liberté ultime et prison de feuillages et d’eau. Alors, quand le cinéaste s’en va, le cœur pincé, il a envie de croire à un au revoir, mais ce n’est en réalité qu’un adieu qu’il profère. L’adieu à un monde, et aux personnes qui le composent.

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