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Alice et le Maire, un film de Nicolas Pariser

Publié le 02/10/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mourir pour des idées ?

Le maire de Lyon, Paul Théraneau (Fabrice Luchini), va mal. Epuisé mentalement après 30 ans de vie politique, cet homme progressiste, totalement voué à sa ville, se sent complètement vide et sans idées. Ces derniers temps, il se contente de suivre ses conseillers dans une routine aux antipodes de ses ambitions d’autrefois, approuvant des projets auxquels il ne croit pas vraiment. Au plus bas, le maire découragé se met à citer Jean-Jacques Rousseau : « J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes »... le genre de phrase à bannir quand on est sur le point de se lancer dans une campagne présidentielle ! Paul décide d’engager une jeune et brillante philosophe, Alice Heimann (Anaïs Demoustier), dans l’espoir qu’elle l’aidera à penser à nouveau. Bientôt, entre ces deux-là, se noue un dialogue quotidien.

Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier dans Alice et le Maire

 

Après le thriller Le Grand Jeu, Nicolas Pariser, fasciné par les arcanes du pouvoir, retrouve le monde politique pour faire le portrait de deux idéalistes qui luttent tant bien que mal pour faire valoir la place des idées dans l’univers impitoyable d’une des grandes villes de la République française. Déclaration d’amour à la machinerie politique (qu’il ne regarde jamais de haut, le film étant totalement dénué de cynisme sur le sujet), Alice et le Maire rend hommage à ceux qui se battent pour transformer des idées complexes en actes bien réels. Ensemble, Alice et Paul confrontent leurs réflexions, débatent dès qu’ils en ont l’occasion. Pariser, également scénariste, réussit à donner corps à des montagnes de dialogues par une mise en scène dynamique. Inspiré par la plus innovante série de l’histoire de la télévision américaine, The West Wing (À la Maison Blanche), le réalisateur s’inspire des expérimentations visuelles du génie des mots, Aaron Sorkin, avec des personnages sans cesse en mouvement, en plein travail, qui parlent en marchant dans les longs couloirs de la mairie, filmant leurs dialogues comme autant de scènes d’action ou de suspense, au sein d’une ruche dont Luchini serait la reine qui n’est plus d’humeur à butiner.

 

C’est par le biais d’une comédie douce-amère (dans la lignée du Quai d’Orsay, de Bertrand Tavernier, dans lequel on trouvait déjà Anaïs Demoustier) que Pariser décrypte un microcosme où l’agitation continuelle (conseils municipaux, inaugurations, réunions après réunions, séances de brainstorming, écriture des discours, etc.) ne sert qu’à dissimuler l’inertie intellectuelle. Débarquée dans cette arène agressive dont elle ignore tout, Alice est engagée pour secouer le cocotier. Le problème, c’est que personne, elle y compris, n’a d’idée précise de la nature de son job. « Ton poste, c’est de travailler aux idées, prendre du recul par rapport à l’action municipale quotidienne, faire de la prospective », lui dit-on dès son premier jour... Vaste programme ! Complètement perdue mais déterminée à bien faire, Alice tente, petit à petit, de sortir le maire de sa torpeur, notamment par un système de notes écrites qu’elle rédige et dont ils discutent dès qu’il a un moment de libre. Le travail d’Alice au quotidien frôle parfois l’absurde (elle doit diriger un débat sur un sujet dont elle ignore tout, lire un livre entier en 30 minutes), mais derrière l’humour de ces situations, le réalisateur nous rappelle les conséquences réelles des décisions de la jeune femme et de ses collègues sur la vie des citoyens qu’ils représentent. Un peu malgré elle, Alice va connaître une ascension accélérée dans la hiérarchie, au risque de faire des jaloux. Grâce à ses face-à-face avec la jeune femme, Paul, enthousiaste, va se remettre à penser, quitte à chambouler les plans ambitieux mis en œuvre par l’équipe en place, qui prend vite Alice en grippe. Gag récurrent du film, Alice et le maire n’ont, la plupart du temps, l’occasion de parler que dans des endroits incongrus (voitures, couloirs, coulisses) et à des heures tardives, leurs échanges se résumant dan un premier temps à des moments volés, sans cesse interrompus par le chaos environnant. C’est seulement lors d’un étourdissant plan-séquence final qu’ils prennent enfin du temps, à deux, pour rédiger un discours décisif.

 

Fabrice Luchini dans Alice et le Maire

 

Le maire est frustré par le fossé qui se creuse entre ceux qui agissent mais ne pensent pas (la valse incessante de jeunes technocrates qui l’entourent) et ceux qui pensent mais n’agissent plus (les vieux aigris comme lui). Il est petit à petit devenu un homme qui agit sans penser, mais à partir du moment où il se remet à réfléchir grâce à l’aide de la jeune femme, cela met en danger sa capacité à agir. Alice, de son côté, reste prisonnière de ses réflexions et mène une vie sans passion, ne trouvant pas sa véritable vocation.

Alice et le Maire est une jolie fable moderne qui fait la part belle à son couple vedette (les seconds rôles sont malheureusement un peu sacrifiés) : un Fabrice Luchini plus sobre qu’à l’accoutumée, que l’on aime voir retrouver l’étincelle, et la toujours irrésistible Anaïs Demoustier dans la peau d’une jeune femme qui s’avère d’une grande aide pour tout le monde, sauf pour elle-même. Alice et Paul ne sont pas des caricatures mais de « vraies » personnes et le récit ne s’avère jamais donneur de leçons. Avec son scénario d’une rare subtilité, le second film de Nicolas Pariser ose une tentative discrète de raviver un sens de l’engagement politique et civique chez ses spectateurs. Courageux à l’heure où tout parait joué d’avance et où l’apathie parait si alléchante !

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