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Amiral Tchoumakov de Laurier Fourniau et Arnaud Alberola

Publié le 03/05/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

La mer d'huile, le calme. Au bord des eaux silencieuses et fascinantes de l'Issyk Kul, l’un des beaux lacs du Kirghizstan, la voix d’un vieil homme commente les épaves échouées et les grues rouillées. L’amiral Tchoumakov, Boris Vassilievitch pour les intimes, est le dernier survivant de cette flotte aujourd’hui démantelée. La chute de l’U.R.S.S. y est pour beaucoup, et la modernité est elle aussi passée par là, comme partout ailleurs.

Amiral Tchoumakov de Laurier Fourniau et Arnaud Alberola

Ce qui reste, et celui qui reste, les cinéastes Laurier Fourniau et Arnaud Alberola le filme avec une caméra attendrie, alors qu’ils emmènent peu à peu le spectateur sur les traces de cette petite grande figure de la marine russe, en mal de reconnaissance. Hors du temps, il poursuit ses routines matinales et ses exercices, tandis que s’étiole autour de lui les reliquats de son glorieux passé. Tchoumakov l’insensible, le cynique ? Point de cela, mais plutôt un homme qui, pour ne pas sombrer, reste fidèle aux credos qu’il s’est jadis fixés ou qu’on lui a inculqué. Et alors qu’il commente les barges étalées sur le sable, on ressent sa nostalgie avec une vivacité bouleversante. Depuis son appartement construit comme un paquebot, Tchoumakov rassemble sa mémoire pour la transmettre, tout en poursuivant sa passion pour les plantes médicinales. Entre ses retrouvailles avec ses vieux collègues et les échanges avec sa fille, l’on découvre un petit personnage qui parvient encore à rire, s’attendrir, et inspirer les jeunes de son quartier, et de sa ville.Car aujourd’hui, l’amiral est devenu une véritable mascotte locale. Le vieux Russe qui a appris le kirghize, petit de taille mais grand par le cœur. Et lorsqu’il déambule parmi les allées du marché ou le long des digues, les cinéastes nous emmènent à la rencontre d’un univers tantôt accueillant, tantôt aliénant. Jusqu’à laisser leur caméra se perdre sur les tâches de rouilles, dans les algues séchées et les coques fendues, à la limite de l’abstraction constructiviste. La musique - composée par Sylvain Barou avec l’aide de Laurier Fourniau - et le son d’Étienne Jamond apporte à cet ensemble une touche soviétique qui n’est pas sans rappeler Vertov, ou peut-être est-ce juste le contexte qui amène cette référence. L’empreinte soviétique est en tout cas présente partout dans les plans, comme les fantômes d’un passé proche déjà digéré par le présent.

De l’amertume ? Il y en a chez Boris Vassilievitch Tchoumakov, face aux baigneurs qui se prélassent indolents sur les ruines d’un pays que lui-même jugeait glorieux et indestructible. Et malgré ses sourires, elle se lit sur ses traits et son visage. Car un Kremlin gonflable s’agite désormais devant les anciens bâtiments du port, jadis fièrement ornés de l’étoile rouge et or. En avant-plan cependant, le monde a changé, et les Tchoumakov de ce monde ont presque tous disparu, emportés par le temps et le ressac. Ne reste plus que Boris Vassilievitch, à qui cette œuvre rend un hommage honnête et beau.

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