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Ana + Yek de Zohra Benhammou et Romy Mana

Publié le 05/02/2025 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Ana + Yek, Moi + Toi en arabe, c’est l’histoire de Sanaa et Zohra, deux sœurs, deux jumelles, deux identités dont on suit le quotidien sur plusieurs années. Les jeunes femmes partagent le même toit bruxellois et le même héritage marocain. Alors que Zohra se détache progressivement de cette tradition, Sanaa s’en rapproche de plus en plus. Le film de Romy Mana et Zohra Benhammou, deux jeunes réalisatrices basées à Bruxelles, raconte cette relation sororale en s’immisçant au plus profond de leur intériorité.

Ana + Yek de Zohra Benhammou et Romy Mana

Assises l’une en face de l’autre, les deux sœurs partagent le repas du premier jour du ramadan. Première scène du film, premières esquisses d’une rupture. On voit Sanaa tourmentée, pleine de questionnements qu’elle ne parvient pas à verbaliser. De l’autre côté, Zohra tente d’apaiser, de comprendre, d’être à l’écoute. Petit à petit Sanaa quitte ses piercings, couvre ses cheveux, cache son corps. Petit à petit, Sanaa a choisi sa voie, celle de l’islam. Zohra, quant à elle, a des rangées d’anneaux aux oreilles, coupe ses cheveux, enfile son blouson de cuir noir. Zohra s’affranchit de ses traditions, quitte le cocon qu’elle partageait avec sa sœur pour prendre son envol.

La caméra, plantée dans le décor, comme un témoin omniprésent d’un quotidien, enregistre l’éloignement progressif des deux jeunes femmes. Construit chronologiquement, le film montre à la fois des scènes de repas partagés, comme un leitmotiv, qui soulignent l’attachement, l’intimité que les deux sœurs partagent. Ces scènes de repas sont aussi le lieu des discussions sourdes, de pensées profondes inexprimables, d’incompréhension, de détachement invisible. Ces images montrent les regards anxieux, troubles, tristes de deux jeunes femmes qui ne parviennent plus à communiquer. Les deux réalisatrices parviennent à capter non seulement ces moments de rupture, mais parviennent aussi à trouver les moments de complicité, d’affection profonde qui unissent ces deux individualités.            

Comme deux femmes, à l’aube de la trentaine, elles parlent du mariage, de la maternité, du travail. Malgré leurs points de vue opposés, elles parviennent à établir progressivement un dialogue. Elles choisissent leurs mots pour ne pas heurter, pour rester bienveillantes l’une envers l’autre. Nous, spectateurs, on voit ces maladresses, ces sensibilités, ces sentiments et on voit surtout qu’elles parviennent à passer outre, à s’écouter, à se respecter et à se reconnaître mutuellement.

Ana + Yek, sélectionné au Gent Film Festival et présenté à Bozar en février, relève du documentaire anthropologique. Les réalisatrices, en parlant d’une relation singulière entre deux sœurs, abordent aussi des questions plus générales liées à la transmission, aux origines, à l’émancipation et à l’acceptation. C’est un film où la divergence de points de vue ne constitue pas un obstacle. Au contraire, se confronter à l’autre qui est différent est, certes, un parcours semé de difficultés et d’incompréhensions mutuelles, mais c’est aussi un chemin vers sa propre liberté.

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