At The End of The World est un documentaire produit par l’atelier de production Dérives. Dans ce film d’Abraham Escobedo-Salas, le spectateur assiste impuissant à la sombre descente aux enfers de Cecilio, un trafiquant de drogue et toxicomane de Lisbonne qui n’arrive pas à se sortir du cercle infernal de l’addiction. Un film qui prend aux tripes dès les premiers instants. Une immersion brute dans les bas-fonds de Lisbonne.
At The End of the world, de Abraham Escobedo-Salas
Dans un style à la fois poignant et effrayant, ce documentaire se distingue par une réalisation d'une grande minutie. Les images sont sublimes, les plans soigneusement composés, offrant une esthétique qui transcende la simple captation de la réalité. La qualité sonore renforce encore ce sentiment d'immersion totale, plongeant le spectateur au cœur des quartiers déshérités de Lisbonne. C’est un véritable voyage sensoriel qui dépeint l’univers des protagonistes de l’histoire.
Au centre de ce récit visuel, Cecilio est un personnage fascinant. Il incarne la dureté et la résilience de ceux qui survivent dans l’ombre de la ville. Ce choix de suivre son quotidien sans voix off ni commentaire ajoute une dimension authentique, presque voyeuriste, à l’expérience. Il n’y a ici ni filtre ni médiation. On est plongé dans l’intimité de ce personnage, témoin de ses luttes silencieuses et de ses errances nocturnes.
Le documentaire se présente comme un portrait sans concession d’un homme atypique dont la vie est marquée par une quête perpétuelle de survie. Ce silence imposé par l’absence de narration laisse toute la place à Cecilio, à ses gestes, ses regards, ses silences, renforçant le côté immersif et parfois dérangeant de cette plongée dans les bas-fonds de Lisbonne.
Ce film documentaire à l’approche minimaliste s’affirme comme une œuvre à la fois artistique et humaniste. Il souligne la puissance du cinéma du réel, capable de transcender le simple témoignage pour offrir une réflexion profonde sur la condition humaine.
Le fléau du crack dépeint dans le documentaire ne se limite pas à Lisbonne. Comme le soulignait Bruno Valkeneers lors d'une intervention à la RTBF en janvier 2024, cette drogue est aujourd'hui d'une facilité d'accès inquiétante. Avec la montée de la précarité, de plus en plus de personnes, souvent réduites à vivre dans la rue, se tournent vers cette substance dévastatrice pour affronter leur quotidien. Ce phénomène est symptomatique d'une crise sociale plus large, où le crack, en raison de son faible coût, devient la drogue des plus vulnérables. Bruxelles, tout comme d'autres villes belges, n'échappe pas à cette réalité, comme en témoignent de nombreux récits alarmants depuis quelques années.
Cependant, At The End of the World ne se limite pas à peindre un tableau de désespoir. Le documentaire parvient à laisser entrevoir une lueur d'espoir en révélant la solidarité qui se tisse entre ces hommes et femmes marginalisés. Contraints de se regrouper et de s’entraider pour survivre dans des camps de fortune, ils résistent à une société qui cherche à les rendre invisibles et à se dérober de sa responsabilité face à l’expansion de ce fléau en Europe.
Les souvenirs partagés par ces personnages résonnent comme des échos d’un monde révolu, où la vie était moins impitoyable envers les marginaux. Le documentaire capte avec sensibilité cette nostalgie d’une époque où les métiers informels offraient encore des opportunités, un temps où la survie était peut-être moins rude, moins isolée. Cette dimension mémorielle ajoute une profondeur supplémentaire au film, renforçant son propos humaniste.
At The End of the World devient ainsi non seulement un témoignage de la lutte quotidienne de ces oubliés, mais aussi une réflexion sur les bouleversements sociaux qui les ont poussés au bord du précipice.
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