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Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie

Publié le 01/10/2013 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Aya décale en vrai ! Est chic-ô !

Après une longue collaboration, la scénariste originaire de Côte d’Ivoire, Marguerite Abouet, et le dessinateur parisien Clément Oubrerie ont décidé d’adapter leur bande dessinée Aya de Yopougon au cinéma. La gazelle d’Abidjan, belle comme un cacao qui sèche au soleil, s’est volatilisée des planches où elle est née, pour atterrir devant la caméra ! 

scène du film AyaInspiré des deux premiers tomes de la bande dessinée, le film raconte l’histoire d’Aya, une jeune fille de 19 ans, studieuse et sage qui vit à Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, à la fin des années 1970. Sa vie est partagée entre ses études, sa famille et ses meilleures amies, Adjoua et Bintou, deux freschnies (jolies filles) qui font le mur, à la nuit tombée, pour aller secouer le pétou au « ça va chauffer », un maquis rempli de môgôs. Alors qu’Aya fait tout pour devenir médecin, Adjoua et Bintou ne rêvent que d’une chose, appartenir à la série C : (Coiffure, Couture, Chasse au mari.

Même si Ignace, Hyacinthe et Koffi, les sages de « Yop City », les géniteurs des trois gazelles les surveillent avec vigilance, ils ne peuvent pas empêcher les djos de ploco-placa. Résultat : Adjoua a été enceintée. Désemparée, elle consulte Aya qui lui conseille de parler au père. Reste à savoir avec qui elle était ce soir-là, à l’hôtel aux mille étoiles… Et si c’était Moussa, le génito ? Le fils de Bonaventure Sissoko, le patron de Solibra, un des colosses les plus riches du pays… Koutoubou ! « Fallait réfléchir avant de mettre sa petite chose n’importe où ».

Pour écrire l’histoire d’Aya, Marguerite Abouet a tout simplement puisé dans ses souvenirs, ceux d’une fillette qui a grandi à Yopougon, un quartier où se côtoient toutes les cultures et toutes les couches sociales. Cette diversité donne à voir une Afrique où les préoccupations quotidiennes ne sont pas si éloignées des nôtres. La scénariste s’intéresse tantôt au microcosme familial, tantôt au macrocosme de la vie économique et politique du pays. Les parents veulent le meilleur pour leurs enfants et rêvent d’une stabilité professionnelle. Désirs fondamentalement universels.

Adapter, c’est toujours risqué. Les personnages animés ne sont souvent pas ceux que l’on avait imaginés. Il semblerait que Marguerite Abouet et Clément Oubrerie aient bien fait de se lancer dans cette aventure. Ce souffle de vie dont sont désormais dotés les différents personnages leur apporte énormément d’épaisseur. Les voix, les postures, les mouvements jouent un rôle prépondérant dans la version cinématographique. En lisant les dialogues dans des phylactères, le lecteur peut se faire une vague idée de l’argot abidjanais, mais c’est beaucoup plus crédible, et plus drôle en vrai, surtout si les réalisateurs choisissent des acteurs africains de différents pays. Aïssa Maïga dans le rôle d’Aya est un choix judicieux pour refléter le multiculturalisme propre à Yopougon, dêh !

scène du film AyaAya, personnage central du récit, est le référent autour duquel les autres gravitent. C’est une jeune femme tiraillée entre le respect de ses traditions et une volonté d’émancipation. Elle veut choisir ses études, son mari, n’en déplaise à son père. D’un caractère bien trempé, elle ne se laisse pas faire par les hommes qui l’enjaillent trop. Elle prône une éducation pour tous, et pense que n’importe qui est capable, même Hervé, « le lézard ». Au-delà de la voix lente et monocorde dont il est affublé, le personnage d’Hervé est doté d’une posture assez éloignée de celle d’un être humain normalement constitué. Bras ballants, corps tout mou, sourire niais. Encore une fois, l’adaptation apporte une consistance impressionnante à ce personnage simplet (et particulièrement amusant). Sans parler du déhanchement de bédou des gazelles. Inutile de faire un dessin.

Admirateur de Joann Sfar (la bande dessinée a d’ailleurs été éditée par Gallimard dans la collection Bayou du créateur du Chat du Rabin), le dessinateur Clément Oubrerie a voulu conserver l’univers graphique de la bande dessinée originale. Est chic-ô ! Le petit plus de l’adaptation réside dans l’ajout de vrais spots publicitaires de l’époque, en prises de vues réelles, qui ponctuent le film. Ces publicités, un peu kitsch il faut bien le dire, installent le ton du film, celui d’une vraie comédie où le rythme est particulièrement bien balancé. Comme le tassaba des freshnies sur la piste de danse.

Ce film, c’est d’abord le récit d’un quartier, celui de Yopougon. Protagoniste à part entière, c’est là où tout se joue : les confidences des jeunes filles, les échanges douteux au clair de lune, les nescafés partagés. Au cinéma, est chic-ô ! Surtout avec les voix, les mouvements de caméra, les cadrages, la musique. Aya de Yopougon, c’est un récit universel teinté de soleil, de tanties, de tontons, de bananes plantains et de claclos chauds. C’est gai, dêh !

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