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Bascule de Marie-Paule Fayt-Davin et Aline Moens.

Publié le 15/08/2014 par Serge Meurant / Catégorie: Critique

Six récits choisis du livre de Marie-Paule Fayt-Davin Vingt secondes et tout bascule 

Atelier Graphoui/ Six récits documentaires /21 minutes

Cinergie : Aline Moens, dans quel contexte ce projet est-il né ?

image du documentaire BasculeAline Moens : Marie-Paule Fayt-Davin était à la recherche d’une cinéaste qui réaliserait une interview d’elle pour présenter son livre Vingt secondes et tout bascule (1) qui raconte son combat contre la maladie. Le 13 février 2003, un accident vasculaire cérébral avait complètement bouleversé sa vie. Tout était à réapprendre, à réinventer.

Lors de notre première rencontre, je lui ai plutôt proposé de réaliser ensemble son portrait dans le cadre de l’atelier Graphoui. Son expérience vécue pourrait alors donner matière à un film où j’apporterais mon savoir-faire de cinéaste. Elle a accepté d’emblée, m’a fait confiance, et s’est élancée avec enthousiasme dans l’aventure.

Notre collaboration s’est révélée très riche. Marie-Paule était pleine d’idées. La première règle qu’elle m’a fixée, cependant, a été de ne pas filmer son visage, partiellement atteint par la paralysie. Elle avait choisi six extraits de son livre qui lui paraissaient particulièrement significatifs. Elle souhaitait établir une relation concrète entre le texte et l’image. La mise en scène de son quotidien devait illustrer le texte.

Elle a insisté pour que je vienne, dès le premier jour, avec ma caméra. Il n’y a quasiment pas eu de repérages. Les séquences qui composent le film ont été tournées d’une seule traite, sans repentir.

La première scène de l’escalier rend compte du sentiment de vertige qui s’empare de Marie-Paule lorsqu’elle en entreprend quotidiennement la descente. Chaque marche représente pour elle un défi qu’elle surmonte et commente.

Les autres capsules du film développent les thèmes de son combat incessant et de la métamorphose de sa vie, de la découverte de nouvelles valeurs comme l’organisation minutieuse du temps, la lenteur nécessaire pour accomplir chaque geste, un éloge de la volonté.

Marie-Paule avait perdu sa voix naturelle, suite à l’accident cérébral. Jamais elle ne m’a parlé de son passé de soliste soprano et de sa collaboration avec les chœurs de la Monnaie. À force de volonté, elle avait peu à peu acquis un second souffle, et s’était forgé une voix nouvelle, lente mais parfaitement articulée. Cette voix exprime très bien ses émotions et ses élans.

Peu à peu, au cours de notre travail, nous nous sommes éloignées du caractère illustratif des images. J’étais sans cesse frappée par la maîtrise de ses gestes, ses mouvements d’équilibriste, par la beauté de ses mains.

image du documentaire BasculePapillon, le dernier récit documentaire, est l’aboutissement de ce travail d’atelier. Il a la puissance d’évocation d’un conte, d’un ballet dont Marie-Paule est à la fois la chorégraphe et la danseuse. Ses deux jambes s’avancent et se retirent, fluent et refluent, sur un petit tapis carré. Nous avons discuté du cadrage, de la mise en scène minimaliste, à laquelle le texte donne force et intériorité.

« Pour sortir de son cocon, écrit Marie-Paule Fayt-Davin, le futur papillon doit passer par un trou très étroit. Il se contorsionne pendant des heures. Personne ne peut l’aider, ce papillon n’a d’ailleurs pas besoin d’aide. Une force le pousse à s’extraire par ce trou très étroit. Ainsi, ses ailes seront irriguées par le liquide contenu dans son corps, si, et seulement si, il fait ce travail lui-même. Le papillon quitte enfin le cocon, et sort ses ailes, pour aussitôt prendre son envol ».

J’ai suivi Marie Paule dans son processus de création. Je lui ai apporté une expérience et un cadre. Elle a accepté la nécessité d’être dirigée, sans cesser de me proposer ses idées. En fait, c’est moi qui la suivais. Le travail de montage m’a permis de rendre à sa voix une plus grande clarté, d’en gérer surtout les grands écarts de volume sonore, en respectant le rythme et le souffle de sa parole. Ça a été mon apport de cinéaste, en même temps que le partage de nos idées. Cette aventure qui constitue une sorte de tête-à-tête a été très riche pour moi, excitante. Comme l’avait été précédemment la réalisation d’un film avec Zoé, une jeune femme schizophrène où je m’étais impliquée davantage encore. Cet atelier, où j’apparais dans l’image, a constitué pour Zoé un moment de passage entre l’institution où elle était soignée et la pleine prise de conscience de sa féminité.

Cinergie : Comment s’est inscrit le projet dans la philosophie générale de l’atelier Graphoui ?
A. M.
 : Habituellement, je travaille avec des personnes qui n’ont pas au départ l’idée de réaliser un travail en atelier, dont certaines ne possèdent parfois que de vagues notions de cinéma. En général, mon travail dans les milieux populaires qui ont un sens très vivant de la culture, revêt un caractère collectif à la rencontre d’un groupe de personnes. Ici, j’ai eu l’occasion de travailler en duo. C’est en quoi la rencontre avec Marie-Paule Fayt-Davin s’est révélé singulière et si féconde pour chacune d’entre nous. C’est exceptionnel. Ce qui illumine notre film, c’est avant tout l’immense confiance en la vie de Marie-Paule qui touchera tous les spectateurs comme le ferait un don.

(1) Vingt secondes et tout bascule, Marie-Paule Fayt-Davin, Editions Méhari, France, 2014.

 

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