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Calle Santa Fe, de Carmen Castillo

Publié le 04/07/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Calle Santa Fe, le septième documentaire de Carmen Castillo après avoir été en salles est désormais disponible en DVD. Précipitez-vous.

Commencé en 2002 lorsque la réalisatrice était en tournage à Santiago pour réaliser un autre documentaire, le film restitue le Chili démocratique d’Allende renversé par la dictature de Pinochet, mais nous parle surtout du 5 octobre 1974, le jour où Miguel Enriquez, leader du M.I.R. et compagnon de Carmen Castillo a été assassiné par la DINA (les services secrets de Pinochet) et elle-même, grièvement blessée par une grenade, enceinte de six mois, a perdu son enfant. Moment traumatique qu’elle a évoqué de biais dans La Flaca Alejandra (tourné en 1994) lorsque retrouvant une amie arrêtée et torturée qui les avait trahis, elle avait évité de revenir à l’endroit où le crime avait eu lieu. La douleur du souvenir. L’impossible retour. Des amis lui demande d’y passer. Elle y emmène son équipe et redécouvre la maison de la rue Santa Fe, dans un quartier modeste de Santiago où, après la mort d’Allende, elle a vécu un an dans la clandestinité avec Miguel Enriquez. Le paysage a vieilli mais est resté le même.
Elle interroge les voisins, découvre des événements ignorés. Elle découvre que son compagnon est sorti seul sur le trottoir qu’il parcourt. La DINA, en découvrant la maison, recule en attendant des renforts. Plutôt que de prendre la fuite, Miguel retourne à la maison pour sauver Carmen. 

« Je me disais que c’était impossible. Je ne supportais pas l’idée d’être responsable de sa mort ». Et puis, il y a le témoignage magnifique d’un vieil homme qui lui apprend qu’il a réussi à la sauver de la police alors qu’elle agonisait en faisant venir une ambulance civile (dans laquelle il va l’accompagner jusqu'à l’hôpital).

De l’enchantement des jours lumineux d’Allende au désenchantement des années sombres de Pinochet qui a inauguré l’idéologie de l’ultralibéralisme (1), on aurait pu tomber dans une sorte de déception post-révolutionnaire. Lucide, Carmen Castillo découvre une génération militante sacrifiée au nom d’un idéalisme révolutionnaire et leurs enfants qui ont vécu les ondes de choc d’un passé qui les a séparés de leurs parents. Carmen Castillo reste une rebelle pour qui ni l’exploitation ni l’impérialisme n’ont disparu depuis les années septante, même si son pays est devenu amnésique. Carmen Castillo démontre cette idée de Milan Kundera sur la lenteur de la mémoire et la vitesse de l’oubli. Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer.
Calle Santa Fe de Carmen Castillo

Calle Santa Fe explore la vie des morts et des vivants. Qu’est-ce que la vie : vivre ou vouloir vivre ? La mort est-elle le médium de la vie ? Quel bilan sur ce travail de mémoire auquel son film l’a conduit ? Le sacrifice des militants était-il utile ? Quel est l’avenir d’une jeunesse confrontée à une économie particulièrement dure et à une pauvreté qui se diffuse.
« Je ne suis pas nostalgique. Nous nous sommes trompés. Nous avons été vaincus. Mais je pourrais redire aujourd’hui exactement ce que je disais, il y a trente ans. C’est l’absence de politique qui tue. Et je suis sûre qu’il n’y a pas de rédemption en dehors de l’engagement ».
Mais le temps a dû cicatriser les blessures des camarades, physiquement et moralement minés par la dictature, pour donner aux révolutionnaires la place qui leur est due. Il a fallu d'abord s'expliquer l'avènement de la dictature et la bestialité des tortionnaires avant de faire le portrait des vaincus, imbibés de leurs croyances, mus par une force surnaturelle que personne ne pourra détruire; ni les plus affreuses tortures, ni les années qui ont passé avec leurs constats d'erreurs. 

Que du contraire; à refaire, tous sont partants !
La révolution n'est pas morbide; le révolutionnaire n'aime pas la mort, mais la vie. C'est pour elle qu'il est prêt à mourir, s'il le faut. Le révolutionnaire n'est pas un martyr !

Calle Santa Fe est un hommage au M.I.R. et à toute la population chilienne qui s'est battue contre la dictature, qui n'a jamais voulu baisser les bras et qui, aujourd'hui encore, ne veut pas se laisser dicter le défaitisme ambiant. C'est un film à voir pour comprendre les années rouges du Chili, mais surtout pour puiser la force qui vient souvent à faire défaut même au contestataire le plus endurci, du système politico-économique qui prône le profit individuel comme moteur historique.
Autre sujet intéressant traité par la brillante canadienne : l’idée que la série télévisée 24 heures chrono a contribué à banaliser la torture.

(1) Sur le triomphe du marché sans restriction de l’ultralibéralisme du monde qui oriente les politiques en proposant l’élimination de la sphère publique et un travail de sape contre les dépenses de l’état, il faut lire La Stratégie du choc de l’incontournable Noami Klein. Milton Friedman, le stratège de « l’école de Chicago » n’élimine pas seulement les théories de John Maynard Keynes qui se sont développées à la suite de la crise de 1929, mais initie ses théories au Chili, en 1972. Le tout grâce à ce coup d’éclat du dictateur Pinochet avant de les passer clés en main à Reagan et Tatcher. L'essayiste analyse le contexte historique de plusieurs événements, du triomphe de l’ultralibéralisme, dans le Chili des années 70 (premier pays à avoir adopté la théorie néo-libérale et ayant permis aux « Chicago boys », installés sur place de tester leur idéologie) à l’après 11 septembre aux Etats-Unis (le choc économique de Paul Brener en Irak) en passant par le triomphe de l’ultralibéralisme en URSS (Russie devenue).

 

Calle Santa Fe, de Carmen Castillo, édité par cinéart, diffusé par Twin Pics.

 

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