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Camouflage de Remco Polman et Jantiene De Kroon

Publié le 24/02/2022 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Camouflage est un thriller dystopique. Amouf, un employé de bureau, tente désespérément de rester en vie alors que le monde qui l’entoure devient de plus en plus sombre, à la suite de l'ascension du « Chasseur ».

Camouflage de Remco Polman et Jantiene De Kroon

Ce court-métrage met en scène Monsieur tout le monde dans une ville où des monstres tentaculaires sont pourchassés par un chasseur et sa bande de sbires. Une ambiance austère et sombre digne de l’Allemagne nazie règne dans cette ville du futur. Alors que l’insécurité semble la norme et que les exécutions publiques se déroulent dans les rues, Camouflage pose un questionnement sur la binarité des notions de bien et de mal dans le monde. Y-a-t-il vraiment des bons et des méchants ? Le bien et le mal sont-ils exclusifs ? Quelle est la nature profonde qui réside en chacun de nous ?

Le personnage est ambivalent. Alors qu’il n’hésite pas à sauver un oiseau persécuté par des enfants, il n’hésitera pas non plus un instant à envoyer son collègue à l’échafaud en le dénonçant une fois sur son lieu de travail. Dans ce monde bureaucratique qui est dépeint, les gens sont considérés comme des numéros interchangeables et les rouages d’un système qui s’impose à eux. Le lien social s’est évaporé. La peur de l’autre est omniprésente. La solidarité sociétale est oubliée. La différence est dangereuse et réprimée.

La citation polémique de la célèbre philosophe allemande Hannah Arendt est citée au début de ce court métrage : « Le plus grand mal perpétré est le mal commis par personne, c'est-à-dire par des êtres humains qui refusent d'être des personnes ».

Cette citation un peu complexe à appréhender au premier abord mérite d’être recontextualisée pour être comprise à sa juste mesure. Dans ses œuvres majeures, et notamment Les Origines du totalitarisme (1951), Hannah Arendt exprime l’idée que le totalitarisme n'est pas exclusif à la sphère politique mais qu’il est présent dans toutes les sphères de la société, y compris privée et intime. Selon ce schéma de pensée, l’action des hommes serait le résultat de la société où ils vivent.

Cette citation de la philosophe a été remise en question en ce sens qu’elle aurait servi de justification et d’excuse au comportement de responsables nazis durant l’holocauste. Son livre polémique sur Adolf Eichmann, un dirigeant nazi kidnappé par le Mossad (services secrets israéliens) à Buenos Aires en 1960, a été commenté mondialement lors de sa publication en 1963. Le concept de « banalité du mal » y est développé. Camouflage l’exploite également à sa manière.

La banalité du mal exprime l’idée que le sujet n’est pas la source même du mal, mais un de ses lieux de manifestation. Le questionnement de l’autorité et l’acceptation de celle-ci par les masses dans la société en découlent forcément. En transformant les humains en monstres venus d’ailleurs, une lecture de Camouflage pourrait être de voir ce projet comme un questionnement des limites de notre humanité sous l’effet de nos systèmes sociétaux, économiques et politiques.

Habile mélange entre 1984 de George Orwell et Godzilla d’Ishiro Honda, ce court-métrage se démarque par un style graphique assez distinctif et coloré malgré l’ambiance maussade qui règne dans cette ville. Le design du personnage principal et des tentacules n’est d’ailleurs pas sans rappeler le célèbre jeu vidéo Day of the Tentacle produit par Lucas Film Games en 1993.

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