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Century of Smoke de Nicolas Graux

Publié le 24/06/2019 par Marine Bernard / Catégorie: Critique

Diplômé de l’Institut des Arts de Diffusion, Nicolas Graux a réalisé deux courts-métrages, Boy with The Devil en 2013 et After Dawn en 2017, qui ont été présentés dans de nombreux festivals à travers le monde. Century of Smoke, son premier long-métrage, est le fruit d’un long travail d’observation qu’il mène depuis 2012 au cœur de la jungle laotienne.

Fragilisé par le régime dictatorial en place, le Laos est un pays extrêmement pauvre et dont la situation est totalement absente de l’actualité internationale. Pour en rendre compte, le réalisateur a choisi de s’arrêter dans un village en marge de la société où survivent les Akhas grâce à la culture de l’opium. Ce produit dérivé du pavot constitue un fléau social et une tragédie humaine pour l’Asie de l’Est depuis des siècles. Rongés par la précarité de leur situation et la désillusion, ils inhalent ce poison autant qu’ils l’exportent. En effet, ils voient dans l’opium l’échappatoire idéale à un quotidien de plus en plus difficile. Tout au long de son expérience, le réalisateur s’est intéressé tant aux femmes qu’aux hommes du village mais a choisi d’axer davantage sa caméra sur Laosan, un jeune père de famille, esclave de sa propre vie. Le film s’est construit progressivement et conjointement avec les Akhas dans un travail de confiance mutuelle.

Century of Smoke s’ouvre sur un moment intime. Laosan prépare une tige de bambou pour fumer de l’opium. Il est dans un état léthargique, entre veille et sommeil, et éprouve des difficultés à se mouvoir. Il semble perdu, dépassé. Autour de lui, deux enfants dorment tandis que sa femme nourrit le troisième. Son regard est vide. Comme dans d’autres foyers, la femme travaille dur dans les champs pendant que le mari s’enivre jusqu’à être déconnecté de toute réalité. Tous deux rêvent de s’enfuir et recommencer leur vie. L’atmosphère est suffocante, le temps semble suspendu. Rapidement, le réalisateur élargit notre champ de vision afin de nous confronter à l’ensemble du paysage aux contours impalpables mais dont nous estimons la beauté. Nous avons la sensation que l’opium a imprégné chaque élément de la nature, sans parvenir à se dissiper. Les nuages sont lourds et pesants comme l’amas de fumée qui se forme autour de Laosan, sans jamais le quitter.

D’un bout à l’autre, Nicolas Graux alterne plans serrés sur les Akhas et plans larges sur les méandres du village. Dans un premier temps, le réalisateur ne nous livre aucune information géographique ni temporelle. Nous devons, avant toute chose, ressentir le mal-être qui habite cette communauté. Après viennent les confessions et les discussions qui nous bouleversent toujours un peu plus. Leurs histoires dérangeantes entrent en résonance avec ce paysage oppressant. Graux se rattache à un cinéma contemplatif et favorise les longues phases d’observation, parfois minimalistes, avec peu ou pas de narration. Il aime les plans statiques, panoramiques et les travellings. En choisissant un cadrage serré, sa caméra apparaît alors comme une confidente, une patiente observatrice des maux qui transforment les Akhas. Les aspects banals de leur quotidien deviennent progressivement étranges. Par cette construction originale, il parvient à montrer à quel point l’opium est omniprésent dans le paysage laotien et le détruit. Century of Smoke apparaît comme une longue et profonde introspection qui nous transporte et dont nous avons peine à sortir.

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